LLB: Guerre en Ukraine: le nouvel aveu de faiblesse de Poutine

Article publié dans La Libre Belgique, le 09/11/2022

L’annonce du retrait russe de Kherson trahit une énième faille de l’invasion de l’Ukraine.

“Camarade ministre, après un examen approfondi de la situation, nous recommandons d’établir nos défenses le long de la rive gauche du Dnipro”. Dans une déclaration soigneusement mise en scène, Sergueï Sourovikine, général commandant des forces d’invasion russe en Ukraine, suggère d’évacuer la rive droite du fleuve et d’’abandonner Kherson - une ville de plus 250 000 habitants avant le 24 février, seule capitale régionale ukrainienne prise par les Russes ces huit derniers mois.

La mine grave, le ministre de la Défense Sergueï Choïgou acquiesce, lit sans trop y croire un texte affirmant que “la vie et la santé de nos soldats a toujours été notre priorité” et ordonne le retrait tactique de ses troupes, soit environ 15 000 hommes. Vladimir Poutine, qui a pour habitude de ne pas être associé aux mauvaises nouvelles, rencontrait au même moment la directrice de l’Institut national de santé publique, Veronika Skvortsova.

Car l’évacuation de Kherson est bel et bien une mauvaise nouvelle. Depuis les attaques ukrainiennes sur les ponts traversant le Dnipro, la position russe sur la rive droite était difficilement soutenable. “Le haut commandement a compris que cette bataille est perdue et souhaiterait se replier. Mais Poutine refuse”, expliquait à la Libre Nicolas Gosset, chercheur à l'Institut royal supérieur de défense, à la mi-octobre. Le président a visiblement été rattrapé par les faits.

Après les retraits des régions de Kiev au printemps et de Kharkiv au début de l’automne, les “retraits tactiques” et “replis stratégiques” que présente le Kremlin ne font que mettre en évidence les failles de l’invasion. Capitale régionale, Kherson avait été annexée en grande pompe à la Russie, le 30 septembre. L’acharnement russe sur Bakhmout, dans l’est de l’Ukraine, est révélateur: les envahisseurs s’y acharnent depuis cinq mois, au prix de pertes humaines très élevées de part et d’autre. La récente stratégie de destruction des infrastructures civiles et énergétiques du pays par des tirs de missile et de drones trahit, de même, l’impuissance russe à obtenir des résultats sur le terrain militaire.

Depuis quelques semaines, l’abandon de Kherson semblait être une question de temps, les autorités d’occupation ayant décrété une évacuation des populations civiles. Selon le général Sourovikine, quelque 115 000 personnes ont été acheminées sur la rive gauche du Dnipro, ce que Kiev dénonce comme des déportations” d’Ukrainiens, cohérentes avec le projet du Kremlin d’affaiblir l’identité nationale ukrainienne. “Le transfert illégal de civils par la Russie”, constaté à partir de nombreuses régions occupées, constituerait un crime de guerre, voire un crime contre l’humanité”, va même jusqu’à affirmer un récent rapport d’Amnesty International. Parmi ces populations déplacées, le vice-responsable de l’administration d’occupation de Kherson, Kyril Stremoussov, est mort dans un accident de voiture ce mercredi, peu avant la déclaration de Sergueï Choïgou. Une coïncidence troublante qui agite les réseaux sociaux ukrainiens.

Selon Sergueï Sourovikine, “les manoeuvres de retrait des soldats vont commencer très rapidement”. Mercredi soir, un conseiller de Volodymyr Zelensky, Mykhailo Podoliak, assurait ne voir “aucun signe que la Russie quitte Kherson sans combattre”. De fait, le scepticisme règne parmi les Ukrainiens traumatisés par l’invasion. “Nous attendons que le drapeau bleu et jaune flotte sur Kherson pour être sûrs”, explique la député ukrainienne Lesya Vasylenko à La Libre.

D’autant que le risque de représailles russes semble très élevé. Depuis des semaines, le Kremlin instrumentalise la menace de destructions massives, telles que l’emploi d’une bombe nucléaire tactique, d’une “bombe sale” ou encore de l’explosion d’un barrage sur le Dnipro, en amont de Kherson. Des menaces que le Kremlin tente d’attribuer à l’Ukraine, sans visiblement en convaincre les puissances occidentales, chinoise, indienne ou turque. “Moscou se défausse sur Kiev d’atrocités qu’elle pourrait commettre elle-même”, assure l’expert militaire ukrainien Andriy Zahorodniouk. “Mais, hormis l’inimaginable, aucune arme de destruction massive ne permettra à Poutine de gagner cette guerre.”

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