LLB: "L’intégration européenne, c’est mettre sur le papier des valeurs que l’Ukraine défend déjà sur le terrain"

Article publié dans La Libre Belgique, le 14/11/2022

La députée ukrainienne Lesia Vasylenko plaide pour l’ouverture des négociations d’adhésion à l’UE et cherche à sécuriser le soutien financier des Occidentaux. Rencontre.

“L’invasion russe n’a en rien altéré notre ambition de réformes. Justice, administration, lutte anti-corruption, transport, énergie, etc. Nous avons énormément de travail à accomplir afin de rapprocher encore un peu plus l’Ukraine et l’Union européenne. L’invasion complique notre travail mais ne nous a jamais arrêté, bien au contraire.”

Députée du parti Le serviteur du peuple de Volodymyr Zelensky, Lesia Vasylenko était la semaine dernière en déplacement à Bruxelles au sein d’une large délégation envoyer pour “renforcer la coordination avec l’UE”. Et hâter le pas. “A Kiev, nous sommes en mode ‘super-turbo’ depuis le 24 février. Nous travaillons sans relâche car nous sommes dans un état de guerre total,” explique-t-elle en référence au “mode turbo” qui désignait les six premiers mois de la présidence Zelensky, en 2019. “Ici en Europe de l’ouest, on sent que mes homologues sont dans un pays en paix. Les processus sont bien plus lents…”

Le temps est une denrée rare pour Lesia Vasylenko, qui doit passer au moins 15 heures pour rallier Bruxelles depuis Kiev, contre 3 heures d’avion auparavant. Francophone, membre de la délégation ukrainienne permanente auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, elle voyage néanmoins régulièrement afin de sécuriser un soutien occidental vital pour que l’Ukraine résiste à l’agression russe et poursuive sa transformation européenne, entamée en 2014.

“Il faut se rappeler que la guerre a commencé au moment de Maïdan, en 2014, parce que Poutine voulait punir les Ukrainiens d’avoir choisi un vecteur européen de modernisation”, rappelle l’élue. Les enjeux sont colossaux, tant le pays est encore aujourd’hui réputé pour sa corruption endémique (122e sur 180 dans le classement de la perception de corruption 2021, selon Transparency international), ses problèmes de justice sélective et de multiples legs de l’ère soviétique. L’administration Zelensky n’est pas exempte de critiques, régulièrement exprimées par l’opposition ou la société civile.

Reste que, ces huit dernières années, une dynamique de réformes structurelles s’est bel et bien affirmée en Ukraine. Et les réformes exigées par le processus d’adhésion à l’UE, ce n’est pour Lesia Vasylenko que “mettre sur le papier des valeurs que nous défendons déjà sur le terrain, par notre travail et notre sang. Des valeurs avec lesquelles nous voulons que vivent nos enfants”.

A 35 ans, cette mère de famille a évacué ses enfants de Kiev en mars. Elle parle à demi-mots de la douleur de leur absence et des nuits passées dans des abris anti-bombes et des stations de métro, tout en assurant qu’elle est “dans une situation bien meilleure que la plupart des Ukrainiens”. Selon l’Onu, à la fin octobre, plus de 6,5 millions de personnes étaient considérées comme déplacées internes en Ukraine. Environ 5 millions de réfugiés sont répartis dans les pays occidentaux, majoritairement. Près de 3 millions supplémentaires se trouvent en Russie, parfois déplacés contre leur volonté.

Malgré les succès militaires sur le terrain face aux forces de Vladimir Poutine, illustrés par la récente reconquête de Kherson, l’économie du pays est extrêmement fragilisée par l’invasion et les récentes frappes russes sur les infrastructures énergétiques et des cibles civiles. Environ 40% du réseau énergétique serait affecté. Dimanche soir, plus de deux jours après la reprise de Kherson, la plupart des habitations ne disposaient ni d’eau ni d’électricité.

Aussi, “l’Ukraine ne peut générer seule les ressources nécessaires à l’effort de guerre. Nous sommes dépendants de l’aide extérieure”, assène Lesia Vasylenko. Environ cinq milliards de dollars seront nécessaires chaque mois pour faire tourner le pays en 2023. Une ligne de vie promise, entre autres, par la Commission européenne, à hauteur de 18 milliards d’euros l’année prochaine. “C’est essentiel. Cela dit, nous n’avons pas encore reçu tous les fonds qui nous avaient été promis pour 2022…”, constate la députée.

Et cette solidarité, Lesia Vasylenko la justifie comme un investissement. “Une Ukraine moderne, en paix, souveraine et européenne est dans l’intérêt de l’UE. Rejoindre la famille européenne à laquelle l’Ukraine appartient de longue date, cela conduira à un affermissement des valeurs démocratiques et de la liberté sur le continent, et à une stabilisation des relations avec la Russie.”

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