LLB: Face aux récriminations de Zelensky, les Occidentaux apaisent

Article publié dans La Libre Belgique, le 16/11/2022

Les Occidentaux assurent que le missile tombé viendrait d'Ukraine. La Russie est néanmoins tenue responsable en raison de sa "guerre illégale". Kiev persiste à présenter le missile comme russe.

Aurait-on frôlé le pire suite à la chute meurtrière d’un missile sur la petite ville polonaise de Przewodow ? Dès l’annonce de l’explosion, mardi après-midi, et de la mort de deux civils, les réactions se sont emballées sur les réseaux sociaux et les dirigeants politiques. Les États baltes, en particulier, ont été prompts à pointer la Russie du doigt et à réaffirmer leur solidarité avec la Pologne. Et Volodymyr Zelensky de répéter ses avertissements quant aux “actions d’un État terroriste”. L’explosion sur le territoire d’un État membre de l’Otan a alimenté les spéculations sur l’activation de l’article 4 du traité de l’Atlantique nord, qui prévoit une “consultation” entre membres, voire de l’article 5 qui garantit une assistance mutuelle.

Un émoi inédit qui rend l’apaisement de ce mercredi matin d’autant plus remarquable. De concert avec les autorités polonaises, particulièrement méthodiques et modérées dans leurs déclarations, les Occidentaux ont conclu que “le missile n’avait probablement pas été tiré par la Russie”, explique Michaël-Eric Lambert, expert pour l’agence Pinkerton. La présence des dirigeants du G7 à Bali, dans le cadre du G20, a contribué à produire une réponse coordonnée et rapide.

Traçabilité difficile

“On ne peut pas s’arrêter au fait que le missile était de fabrication russe car les stocks ukrainiens en sont remplis”, poursuit Michaël-Eric Lambert. L’analyste précise que, contrairement aux hypothèses d’une identification rapide du missile et de son origine, en raison des systèmes de surveillance déployés dans la région et de l’analyse des débris, la traçabilité d’un missile détruit peut prendre du temps. Michaël-Eric Lambert rappelle la longue enquête qui a suivi l’attaque contre le Boeing MH17, abattu au-dessus de l’est de l’Ukraine en 2014.

Quelle que soit l’origine du missile, “rien ne pointe vers une attaque délibérée de la Pologne”, assure-t-il. Les Ukrainiens, très dépendants de l’aide occidentale en général et de la solidarité polonaise en particulier, n’y auraient eu aucun intérêt. Les Russes, eux, n’auraient “rien à gagner d’une escalade avec la Pologne alors que leur armée est en train de connaître des difficultés sur le terrain ukrainien. Sans compter que ce missile n’a touché aucune zone stratégique…”

Toutes les déclarations occidentales, ce mercredi, sont allées dans ce sens : la chute du missile serait accidentelle. Et s’il s’avérait que l’incident est bien dû à une erreur de la défense antiaérienne ukrainienne face à une pluie d’une centaine de missiles russes visant plusieurs villes ukrainiennes, ce mardi, ce “ne serait pas la faute de l’Ukraine”, martèle Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’Otan. “La Russie porte la pleine responsabilité du drame tant qu’elle continue sa guerre illégale contre l’Ukraine.”

Mystères et théories du complot

Reste que la définition de “l’intérêt” de la Russie, réputée pour ses agressions hybrides visant à déstabiliser les pays occidentaux ces dernières années, entretient le débat. “Le simple fait d’envahir l’Ukraine est contraire aux intérêts russes tels que le monde ‘cartésien’le comprend”, souligne Andriy Zahorodniouk, expert militaire ukrainien. Lui égrène des cas récents, tels que des séries de cyberattaques, le sectionnement de câbles sous-marins ou encore les récentes explosions affectant les gazoducs Nord Stream sous la mer Baltique. “Les faisceaux de preuves convergent vers la Russie”, assure-t-il. “Mais une fois l’émotion passée, ces affaires sont éclipsées par l’actualité, sans que leurs résolutions soient rendues publiques.” Lui y voit une volonté claire des Occidentaux de ne pas provoquer un affrontement direct avec la Russie. “Ces situations nourrissent toutes sortes de théories, y compris des théories du complot qui ne font que confirmer certains sergments de l’opinion publique dans leurs convictions”, regrette Michaël-Eric Lambert en prenant une certaine distance.

En l’occurrence, l’insistance de Volodymyr Zelensky à présenter le missile tombé en Pologne comme indubitablement russe est interpellante. Le secrétaire du Conseil de sécurité et défense ukrainien, Oleksiy Danilov, a même exigé, mercredi, un “accès immédiat” à la zone d’enquête de Przewodow, afin d’exhiber une “preuve de la trace russe”. Une demande non satisfaite qui suscite la méfiance côté ukrainien, à l’heure où Volodymyr Zelensky assure avoir reçu des “signaux clairs” que certains pays occidentaux cherchent à négocier “de leur côté” avec Moscou. À Kiev, on redoute de voir un coin enfoncé dans l’alliance transatlantique.

Pour l’heure, La solidarité de l’Otan semble néanmoins fonctionner. Jens Stoltenberg a exprimé son souhait d’envoyer plus de systèmes antiaériens en Ukraine afin d’en renforcer la défense. L’Allemagne a, elle, proposé à la Pologne d’organiser des patrouilles aériennes afin de surveiller ses régions frontalières – le flanc est de l’Otan.

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