LLB: Le réveillon, un dilemme en Ukraine : “Il nous est impossible de célébrer Noël en même temps que l'envahisseur"

Article publié dans La Libre Belgique, le 24/12/2022

Les douze plats qui ornent les tables ukrainiennes du réveillon de Noël pourraient être dégustés bien plus tôt, cette année. Alors que les quelque 25 millions de chrétiens orthodoxes du pays célèbrent traditionnellement la naissance du Christ la nuit du 6 janvier et le jour suivant, le synode de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine a autorisé les paroisses qui le souhaitent à fêter Noël également le 24 et 25 décembre. Un geste en direction des millions d’Ukrainiens éparpillés à travers le monde et dépendants de leurs paroisses d’accueil. Mais pas uniquement.

En cause, un débat aussi vieux que l’indépendance du pays, en 1991, autour de la question du rapprochement avec l’Europe. L’immense majorité des chrétiens est resté attachée au calendrier liturgique jullien, hormis les quelque 3,5 millions de gréco-catholiques, catholiques et protestants répondant du calendrier grégorien. Mais l’idée a fait son chemin, au fil des évolutions générationnelles, politiques et géopolitiques. Le 25 décembre a ainsi été reconnu jour férié en 2017, dans la même lignée que la loi faisant du 8 mai le jour “de la mémoire” de la Seconde guerre mondiale et se distancier de l’historiographie soviétique qui ne célèbre que le 9 mai.

En 2022, coup d’accélérateur: “psychologiquement et spirituellement, il nous est impossible de célébrer Noël en même temps que les envahisseurs russes”, défie, dans un post sur les réseaux sociaux, le père Ivan Ribarouk. Lui est pope d’une petite paroisse de Kriviy Rih, une ville industrielle et majoritairement russophone dans le centre-est de l’Ukraine. “Noël le 7 janvier, c’est un héritage de l’occupation de nos esprits par le ‘monde russe’. Il est temps de se libérer.”

Reste que le transfert ne va pas de soi. Selon une récente enquête d’opinion du groupe Rating, seuls 26% des Ukrainiens soutiendraient le choix du 25 décembre tandis que 58% s’y opposent. Pour un des berceaux de la chrétienté orientale depuis le baptême de la Rous de Kiev en 988, rompre avec la Russie ne veut pas forcément dire abandonner des traditions ancestrales. De plus, un déplacement officiel de la date de Noël perturberait l’ensemble du calendrier liturgique.

La hiérarchie de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine, dont l’auto-gestion n’a été reconnue qu’en 2019, marche donc sur des oeufs et privilégie la flexibilité. “Nous posons les bases du changement. Mais les fidèles doivent s’y retrouver avant de procéder à des choix drastiques”, commente l’archevêque Fedir, en charge du département de la jeunesse de l’Eglise. Un appel à la souplesse que 18% des Ukrainiens ont entendu: ceux-là assurent vouloir célébrer Noël deux fois cette année.

Aux dimensions spirituelle et géopolitique du Noël 2022 s’ajoutent aussi les conditions pratiques de cet hiver marqué par de graves coupures d’électricité et de chauffage suite aux frappes russes. Plusieurs pétitions ont même été lancées pour “annuler” Noël afin que les ressources disponibles soient redirigées vers l’armée et les personnes déplacées. A l’instar de nombreux élus locaux, le maire de Kiev, Vitaliy Klitschko, a insisté pour maintenir allumés tous les sapins de la capitale. “On ne peut pas laisser Poutine nous voler notre Noël. ”

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