LLB: L’Occident peut-il faire respecter ses sanctions dans un monde multipolaire?
Article publié dans La Libre Belgique, le 25/09/2022
Certains pays contournent les sanctions à la Russie et continuent de faire commerce avec elle.
Même l’Arabie saoudite achète désormais des barils de brut russe. Négociés à prix réduit, le pétrole est raffiné et revendu au plus offrant sur les marchés mondiaux. Derrière l’énormité de ces importations par l’un des principaux producteurs d’or noir du monde se pose la question du contournement des sanctions occidentales à l’encontre de la Russie.
De fait, seuls une quarantaine de pays, représentant moins de 20% de la population mondiale, ont imposé des sanctions suite à l’invasion généralisée de l’Ukraine. Et ce, à des degrés divers: Les Vingt-sept, les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou encore le Japon n’ont pas tous décidés des mêmes sanctions ou de la même sévérité de leur application. Surtout, ces puissances n’ont pu empêcher les exportations russes d’hydrocarbures vers la Chine, l’Inde ou encore la Turquie, ni même les achats de drones auprès de l’Iran et d’artillerie lourde auprès de la Corée du nord.
La multipolarisation du monde, si ce n’est sa fragmentation, nuit à la cohérence de sanctions décidées presque uniquement par l’Occident. Ne serait-ce que Bichkek, la capitale du Kirghizistan, s’est peuplée depuis l’hiver de sociétés russes exilées afin de continuer leurs activités sous un régime juridique différent. Les nouvelles technologies jouent aussi leur rôle: la Russie ayant créé son propre “rouble numérique” en février, l’utilisation des cryptomonnaies est un risque de contournement des restrictions financières pris au sérieux par les Occidentaux. Sans oublier les immanquables réseaux de contrebande et de marché noir qui se sont organisés ces derniers mois. “Si sanctions il y a, alors il y a des gens qui veulent les contourner”, commente un diplomate européen en poste à Tbilissi, Géorgie.
Le risque d’une scission durable entre Russie et Occident est réel et d’autant plus dommageable pour les acteurs économiques que l’Union européenne était, avant fin février, le premier partenaire commercial de la Russie. Pour autant, les nouveaux partenariats russes ne peuvent être considérés comme un “virage vers l’est”, tant ils ne produisent pas les mêmes effets.
D’une part, la quarantaine de pays ayant sanctionné la Russie constituent plus de 60% de la richesse mondiale. Le commerce russe ne peut donc trouver chez ses débouchés de substitution que des marchés moins juteux. D’autant moins juteux que l’économie russe, peut diversifiée, exporte avant tout des hydrocarbures et non des produits manufacturés ou à à haute valeur ajoutée.
D’autre part, le poids économique conséquent du bloc d’opposition au Kremlin incite les pays et entreprises souhaitant esquiver les restrictions à une prudence extrême, c’est-à-dire des montages financiers complexes ou des logistiques d’exportation contraignantes. Aussi, ces entités sont sensibles, bon gré, mal gré, aux pressions et remontrances occidentales. En témoigne l’interdiction par deux banques turques de l’utilisation du système de paiement international russe, MIR, conçu comme remplacement des systèmes Visa et Mastercard.
Enfin, c’est l’évolution de la situation militaire et les dérives du Kremlin qui pourraient, sur le court- et moyen-terme, influer sur les bonnes volontés de ses partenaires. Le récent sommet de Samarcande a ainsi vu le Premier ministre indien Narendra Modi assurer face à Vladimir Poutine que “l’heure n’est pas à la guerre”, tandis que le président chinois Xi Jinping a fait exprimer, dans la bouche même de son homologue russe, ses “inquiétudes” vis-à-vis de la situation en Ukraine.