LLB: L'Ukraine passe à l'offensive et libère des territoires conséquents. Sans savoir à quoi s'attendre pour la suite

Article publié dans La Libre Belgique, le 12/09/2022

L’armée ukrainienne a libéré une zone de plus de 8 000 km2 dans le nord-est du pays. Kiev entend récupérer l’entièreté de son territoire, Crimée et Donbass compris.

Des drapeaux russes souillés, jetés aux poubelles. Des soldats ukrainiens tirant une salve victorieuse sur le toit d’un bâtiment administratif incendié. Une compagnie de militaires attestant avoir atteint la frontière russe dans le nord de la région de Kharkiv… Les informations restent parcellaires mais les informations concordent: l’offensive éclair menée par l’armée ukrainienne depuis le 6 septembre environ a conduit à la libération d’une zone de plus de 8 000 kilomètres carrés, dans le nord-est de l’Ukraine.

Preuve ultime: le ministère de la défense russe lui-même a annoncé le retrait de ses troupes, samedi soir, en publiant une carte d’état-major montrant une évacuation à l’est de la rivière Sokil et au nord de la frontière de la Fédération. Une opération “bien coordonnée” de “regroupement”, selon Moscou, afin de “renforcer” la république autoproclamée de Donetsk, plus à l’est.

Les nombreuses vidéos et photos de camps russes abandonnés à la hâte, de dépôts débordant de munitions et de chars d’assaut laissés sur place ou encore de soldats russes se rendant sans résister font toutefois douter de la véracité du discours russe, habitué à présenter ses retraites de la région de Kiev ou de l’île des Serpents, en mer Noire, comme des “manoeuvres tactiques” ou des “gestes de bonne volonté”.

“Ce n’est pas une mauvaise décision de fuir”, ironise le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans une adresse vidéo. “Il n’y a aucune place pour les occupants en Ukraine”. Lui assure qu’il s’agit bien d’une contre-offensive inédite et décisive, sans toutefois en révéler les détails. L’armée ukrainienne interdit l’accès à la ligne de front depuis le mois d’août, officiellement pour des raisons de sécurité et de lutte contre la désinformation. Aucun renseignement ne filtre donc concernant le bilan humain, l’état des forces en présence ou encore l’accueil réservé aux soldats ukrainiens par des populations civiles vivant sous occupation russe depuis fin février, pour certaines.

Se pose surtout la question d’éventuelles représailles à ce qui semble être un camouflet pour Vladimir Poutine, affairé samedi à célébrer les 875 ans de la ville de Moscou et dimanche à superviser des élections locales en Russie. Le retrait militaire au nord de la frontière peut être une simple manoeuvre pour harceler les troupes ukrainiennes depuis l’arrière, comme c’est déjà le cas dans les régions de Soumy et Tchernihiv. Le repli à l’est du Sokil peut, lui, effectivement mener à un “regroupement” des troupes afin de repartir à l’assaut. “Cela paraît pourtant très improbable”, explique Nataliya Bugayova, experte pour l’Institute for the Study of War (ISW). “Depuis février, le Kremlin a investi beaucoup de ressources pour des gains très limités. Il peine désormais à recruter de nouvelles troupes et à acheminer du nouveau matériel”. Un constat partagé par quelques blogueurs militaires russes. Igor Girkine, combattant nationaliste très actif dans le Donbass en 2014, déplore d’ores et déjà que “la Russie a perdu cette guerre”. La chaîne Telegram de référence “Romanov Light” estime ainsi que les options de l’armée russe se réduisent à “frapper des villes, comme le centre de Kiev, ou cibler l’ouest de l’Ukraine avec des tirs nucléaires tactiques”.

Loin d’apparaître intimidé, le ministre ukrainien des Affaires étrangères voit dans cette situation “la confirmation que l’Ukraine peut gagner”. Face à son homologue allemande Annalena Baerbock lors d’une conférence tenue à Kiev par le Yalta European Strategy (YES), lui a exigé “encore plus d’armes, afin de nous permettre de remporter la victoire et de faire en sorte que cette guerre se termine le plus vite possible, pour nous comme pour vous”. L’expert militaire Andriy Zagorodniuk abonde: “nous constatons une baisse des capacités offensives de la Russie depuis des semaines. Bien sûr, ils peuvent continuer à envoyer des hommes et à tenir des territoires. Mais la perspective d’une escalade qui paralysait les occidentaux en hiver n’est clairement plus réaliste. Les Européens doivent surmonter leur peur et nous aider à en terminer au plus vite”.

De fait, les Ukrainiens apparaissent tant galvanisés par les nouvelles du front qu’échaudés par les atrocités russes des derniers mois. Alors que Sergueï Lavrov a suggéré, dimanche, “ne pas être opposé à des négociations” après en avoir discrédité l’idée pendant des mois, Volodymyr Zelensky rejette les moindres pourparlers “tant que l’occupant reste dans le pays”.

Et par “pays”, l’exécutif ukrainien entend désormais le territoire internationalement reconnu en 1991. Oleksiy Reznikov, ministre de la défense, a ainsi révélé au public de la conférence qu’il était prêt, lors de négociations d’urgence en Biélorussie en mars, à négocier sur la base des démarcations au 23 février. C’est-à-dire à accepter l’annexion russe de la Crimée et d’une partie du Donbass. “Mais après Boutcha, Irpine, Marioupol… Nous n’accepterons rien d’autre qu’une restauration totale de notre souveraineté territoriale”.

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