LLB: Plus de 60 kilomètres en moins d'une semaine: dans le nord-est, l'Ukraine prend l'initiative
Article publié dans La Libre Belgique, le 10/09/2022
La confirmation de gains territoriaux conséquents et remarquablement rapides ouvre des perspectives pour l'armée ukrainienne.
“Alors les gars, on est où en ce moment?” Koupiansk!” Perchés sur un blindé, bercés par les premières lueurs du jour ce 10 septembre, un groupe de soldats ukrainiens du 1er bataillon motorisé de l’armée ukrainienne progressent à vive allure sur une des rues principales de Koupiansk. D’autres photos postées sur les réseaux sociaux attestent de leur prise de contrôle de la mairie. En début de semaine, la ligne de front se situait pourtant à plus de 60 kilomètres de la ville.
La rapidité de la contre-offensive ukrainienne dans le nord-est du pays surprend. Depuis le 7 septembre, plus de 3 000 kilomètres carrés auraient été repris aux forces russes pourtant solidement ancrées dans cette zone depuis l’hiver. Kupiansk, centre logistique de moins de 30 000 habitants, avait été capturé sans coup férir le 27 février. A l’heure de la rédaction de cet article, les rumeurs courent d’une reprise, éclair elle aussi, de la ville d’Izioum, noeuf routier et ferroviaire dont dépend la poursuite de l’offensive russe dans l’est de l’Ukraine. “Alors que l’on parlait de guerre d’attrition, les vitesses de progression sont comparables à l’opération Barbarossa (invasion nazie contre l’URSS à partir du 22 juin 1941, ndlr)”, constate Andriy Zahorodniouk, directeur du “Centre de stratégie défensive” à Kiev.
Une euphorie béate règne sur les réseaux sociaux ukrainiens, en commentaire de photos et vidéos montrant des habitants étreignant des soldats ukrainiens, de camps et dépôts de munitions russes abandonnés ou encore de militaires remplaçant les drapeaux blanc-bleu-rouge par des étendards bleu et jaune. Des informations à prendre avec précaution tant la situation reste floue. Le haut-commandement ukrainien interdit depuis le mois d’août l’accès des journalistes à la ligne de front, officiellement pour raisons de sécurité et de lutte contre la désinformation.
Reste qu’une vidéo de soldats sur un toit de Kupiansk laisse entendre le chant des oiseaux et non le fracas de combats de rue. Une autre montre un camp russe abandonné à la hâte, des assiettes pleines de nourriture laissées sur les tables. Les éléments de preuve s’accumulent ainsi pour attester la thèse d’une fuite des occupants russes. Certains blogueurs militaires russes vont jusqu’à dénoncer sur leurs chaînes Telegram un “effondrement” de l’armée dans le nord-est. Comble de stupeur, même les principaux propagandistes du Kremlin s’inquiètent des “mauvaises nouvelles” en provenance du front. “Tout le monde ici est extrêmement stressé”, admet Olga Skabaïeva sur la chaîne d’Etat “Rossiya 1”. Tout en avertissant: “nous ne tolérerons aucune panique”.
A Kiev, l’optimisme est palpable. La poussée inédite dans la région de Kharkiv s’inscrit dans la lignée de frappes ukrainiens sur un nombre conséquent d’infrastructures militaires russes, dans les territoires occupés de l’est et de la Crimée. Une première contre-offensive avait été lancée dans la région de Kherson fin août. Bien que moins impressionnante, elle produit aussi des résultats en termes de gains territoriaux. L’expert militaire autrichien Tom Cooper évoque un possible “tournant de la guerre”.
Tom Cooper reste néanmoins prudent, comme la plupart des observateurs. D’une part, la Russie a annoncé l’envoi de renforts dans la région de Kharkiv, exposant les Ukrainiens à d’éventuels assauts dans des villes qu’ils n’ont pu fortifier. La perspective de représailles sur des cibles civiles, voire par des tirs de missiles sur le centre de Kiev, est aussi agitée par des blogueurs militaires russes. D’autre part, toute progression dans le nord-est de l’Ukraine doit se heurter, tôt ou tard, à la frontière de la Fédération de Russie. Afin de garantir la livraison d’armes offensives occidentales, notamment américaines, Kiev s’est engagé à ne pas attaquer le territoire russe - à supposer qu’elle en ait jamais la capacité. Enfin, les zones reprises récemment ne concernent qu’une infime partie des quelque 20% de territoire ukrainien actuellement sous contrôle russe. “Cette guerre va être très longue et durer tant que le Kremlin n’aura pas altéré sa politique impérialiste”, prévient le lieutenant-général Yevhen Moysiuk, vice-commandant en chef des forces armées, à Kiev. Tout en se félicitant des percées récentes, lui évoque déjà des opérations de reconquête en 2023. Et d’avertir: “l’hiver sera très long et très difficile”.