LLB: Oleksiy Arestovitch, le "psychothérapeute des Ukrainiens" qui promet la victoire

Article publié dans La Libre Belgique, le 06/09/2022

On le surnomme le "psychothérapeute des Ukrainiens". Très visible sur les réseaux sociaux, il met en scène son influence sur la politique.

Il avait prédit l’invasion. Dans une vidéo de mars 2019, Oleksiy Arestovitch expliquait qu’une guerre de grande ampleur entre l’Ukraine et la Russie était inévitable, en prédisant dans le détail des situations que les Ukrainiens vivent depuis le 24 février. L’interview fait autorité. Il n’est donc guère étonnant que les Ukrainiens écoutent désormais l’homme en masse annoncer des bonnes nouvelles militaires en série et le renversement prochain du rapport de force sur le terrain. Fort de près de 900 000 followers sur Facebook et plus d’un million et demie sur Youtube, Oleksiy Arestovitch s’est rendu indispensable dans la stratégie de communication du gouvernement ukrainien. Le fait qu’il répète régulièrement qu’il faut résister “moins de deux-trois semaines” a contribué à faire tenir les Ukrainiens plus de six mois, met en lumière la chercheuse Anna Colin Lebedev. Ce “psychothérapeute des Ukrainiens” s’inscrirait donc dans la lignée du “guérisseur” Anatoly Kashpirovsky qui “traitait” les citoyens soviétiques des années 1980 par écran de télévision interposé. “Plus la situation est dramatique, plus il faut sourire”, assène Oleksiy Arestovitch sur les écrans d’ordinateur et de smartphones.

L’homme est pourtant loin d’être un modèle pour tous, tant son parcours est trouble. Né en 1975 dans la Géorgie soviétique d’un père polonais et d’une mère russe, il passe son enfance en Biélorussie. Etudiant, il s’essaie à la biologie avant de devenir acteur de théâtre. En 2000, il s’improvise psychologue et mène plusieurs séminaires. Il aurait aussi étudié la théologie et travaillé pour le renseignement ukrainien. Il rejoint un temps une organisation d’extrême-droite et s’intéresse de près aux thèses de l’idéologue eurasiste russe Alexander Douguine. Mais cette expérience extrémiste ne dure pas. Dans les années 2010, il se fait un nom sur les réseaux sociaux en élargissant son audience grâce à des vidéos de conseils de vie et d’analyses politico-militaires. Le ton assuré, les phrases bien tournées, les messages bien rodés. Le tout en langue russe. En 2019, il est intégré dans l’équipe de Volodymyr Zelensky comme “conseiller”, une fonction officieuse aux contours… flous. Son hostilité marquée au Kremlin semble être un gage de sincérité dans une Ukraine en guerre d’attrition depuis 2014. Mais ses commentaires dénigrants sur la “petite” culture ukrainienne ou encore sur la présence des femmes dans l’armée comme “une blague” irritent. D’aucun le soupçonnent de n’avoir jamais vraiment rompu avec la vision soviétique et russe d’une appartenance commune des peuples slaves - un discours irrecevable dans l’Ukraine contemporaine. Et de rappeler qu’Oleksiy Arestovitch fut membre éphémère, en 2005, d’une organisation d’extrême-droite, très intéressé par les thèses néofascistes de l’idéologue eurasiste russe Alexander Douguine…

C’est surtout la confusion autour de son influence sur la politique de Volodymyr Zelensky qui pose question. De même que son niveau d’expertise militaire. Oleksiy Arestovitch a reconnu avoir déformé des informations en 2014, à des fins de “propagande de guerre”. Il semble reproduire la même stratégie, en annonçant des chiffres excessifs de pertes ennemies ou en multipliant les prophéties dont certaines, comme celle de 2019, peuvent se réaliser. “Aujourd’hui, je suis dans mon élément car les Ukrainiens ont besoin de moi”, a-t-il lâché dans une récente interview. “Mais bientôt, on me haïra de nouveau.” Ce qui ne l’a pas empêché, en août d’annoncer qu’il briguera la présidence de la république en 2024, dans le cas où Volodymyr Zelensky ne se représente pas. Ce rôle de “psychothérapeute” qu’il s’est attribué n’est peut-être pas le dernier revirement de la carrière rocambolesque d’Oleksiy Arestovitch.

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