LLB: ”Un seul problème à Zaporijia : l’armée russe”

Article publié dans La Libre Belgique, le 18/12/2022

Une ingénieure en exil raconte son expérience alors que la situation de la centrale occupée par l'armée russe reste précaire.

“Avec des méthodes aussi brutales, il ne restera bientôt plus personne pour faire tourner la centrale nucléaire.” Iryna (prénom modifié) travaillait comme ingénieure à la centrale nucléaire de Zaporijia. Jusqu’à fin septembre, quand elle fui les humiliations, les violences et les privations de l’occupation russe. Aujourd’hui en sécurité dans une autre région d’Ukraine, elle témoigne auprès de La Libre sous couvert d’anonymat. Elle entend aussi lancer un cri d’alarme: sur les plus de 10 000 employés de la centrale actifs avant le 24 février, il en resterait moins de 2 000. “Rosatom (l’opérateur nucléaire russe, ndlr) a certes importé du personnel russe, mais pas suffisamment. Je ne sais pas ce qu’ils ont en tête…”

Cette désorganisation, Iryna l’a remarqué dès la prise de la centrale, le 4 mars. Elle et son équipe terminaient leur journée de travail quand les envahisseurs ont lancé leur attaque. Impossible de rentrer chez elle dans la ville d’Enerhodar, à cinq kilomètres. Après une nuit passée dans un abri souterrain, elle constate que la relève ne peut se déplacer. “On ne voulait pas d’un nouveau Tchernobyl, alors on a repris le travail.” En tout, son équipe reste sur le pont 28 heures d’affilée, bien plus que les 8 heures réglementaires. Dans le cadre des combats, un feu se déclare sur l’un des bâtiments annexes: “les Russes ont mis trois heures à autoriser les pompiers à passer… C’était complètement irresponsable!”

Rien ne s’arrange par la suite. Les occupants mettent en place des contrôles intempestifs qui s’accompagnent de fouilles, brutalités, insultes, humiliations et arrestations arbitraires. “Certaines personnes disparaissent pour deux jours, une semaine, ou plus… Quand ils reviennent, ils ne racontent rien. Mais certains ont des dents cassés, d’autres des marques de sévices…”

Une politique de terreur visiblement mise en place après que les Russes ont compris que la population locale ne les accueillait pas à bras ouvert. Iryna se rappelle de la réaction désabusée du chef de l’administration d’occupation, Alexander Volga: “Il s’énervait en hurlant: ‘Pourquoi personne ne veut demander le passeport russe? Pourquoi les employés ne sourient-ils pas plus? Pourquoi cette ambiance morose?’”

Dans le même temps, les Russes mettaient en scène les bombardements sur et autour de la centrale pour dénoncer les agissements de l’armée ukrainienne. Des tirs dangereux pour l’intégrité du complexe. S’il ne fait pas de doute que quelques tirs provenaient des positions ukrainiennes, de l’autre côté du fleuve Dnipro, des attaques ont été orchestrées par les Russes eux-mêmes selon Iryna. “Ils étaient au courant bien en avance et se mettaient à l’abri, pour ensuite sortir et monter des vidéos de désinformation.”

Ce climat de peur a poussé Iryna à la fuite, en plus des difficultés du quotidien. Hausse des prix et pénuries vont de pair avec les coupures de courant, de chauffage et d’eau. La vie de la population, passée d’environ 35 0000 à 15 000 aujourd’hui, en est compliquée. Mais les problèmes énergétiques représentent aussi un danger majeur pour l’approvisionnement de la centrale et le refroidissement de ses réacteurs.

“Il n’y a qu’une seule solution pour régler cette situation”, assène Iryna. “La Russie écouter l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et démilitariser la centrale, ce qui veut dire quitter les lieux. Zaporijia est une centrale fiable, qui a beaucoup de potentiel. Nous n’avons qu’un seul problème là-bas: l’armée russe.”

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