L’Ukraine, 125e Etat membre de la CPI?

On le sait tous, la cour pénale internationale est très active dans le contexte de la guerre russe en Ukraine.

Notamment à travers ses enquêtes et ses mandats d’arrêt émis à l’encontre de Vladimir Poutine, l’ancien ministre de la défense Sergueï Shoigu et le chef des armées Valery Gerassimov.

Mais on sait moins que l’Ukraine n’est pas partie prenante au statut de Rome qui fonde la Cour pénale internationale.

C’est peut-être sur le point de changer.

Si l’Ukraine ratifie enfin le statut de Rome, cela lui donnera plus d’assise au sein du système de droit international, mais cela soulèvera aussi quelques questions pour le pays…

Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette nouvelle vidéo où l’on va faire le point sur la cour pénale internationale et la position ukrainienne par rapport au droit international.

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On commence avec ce point d’actu: hier, 15 août, la majorité de Volodymyr Zelensky a déposé une série de projets de lois pour ratifier le statut de Rome.

Ce statut de Rome, c’est un traité international adopté en 1998 à Rome donc, qui fonde la cour pénale internationale.

L’idée d’une telle cour remonte à après la première guerre mondiale, c’est dire que c’est un travail de longue haleine.

La grande inspiration c’est évidemment les procès de Nuremberg qui ont jugé les hauts dignitaires nazis après 1945.

C’est une institution permanente, basée à la Haye aux Pays Bas qui est habilitée à traiter des crimes internationaux contre l’humanité, les crimes de guerre, le crime d’agression et celui de génocide.

Juste une parenthèse: les procès de Nuremberg et ceux fondant la cour ont largement été inspirés par les travaux de Hersch Lauterpacht sur les crimes contre l’humanité et ceux de Raphael Lemkin sur le crime de génocide.

Et pourquoi est-ce que je mentionne ces deux juristes juifs? Parce qu’ils viennent tous les deux de ce qui est aujourd’hui l’Ukraine de l’ouest. C’est très symbolique.

Là-dessus, je recommande l’excellent ouvrage de Philippe Sands, Retour à Lemberg.

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A l’heure actuelle, on a 124 Etats membres à la cour pénale internationale, soit un peu moins de la moitié des 193 Etats reconnus par l’ONU.

La Chine, l’Inde, le Bélarus, la Turquie ou encore le Kazakhstan et la Somalie n’ont jamais signé et ratifié le statut de Rome.

La France avait hésité à l’époque à cause de son passé colonial et de ses opérations extérieures mais elle est devenue Etat membre.

Les Etats-Unis et la Russie avaient signé le statut de Rome mais ils se sont rétractés après coup.

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En Ukraine, c’est un serpent de mer.

Le pays a signé le statut de Rome en 2000 mais s’est toujours refusé à ratifier.

C’est tout à fait lié aux dysfonctionnements de sa politique interne, mais aussi à son alignement sur la politique de Moscou, à une époque qui semble très, très lointaine.

Arrive 2014, l’annexion de la Crimée et le début de la guerre du Donbass et l’Ukraine commence à être intéressée par le droit international.

La ratification du statut de Rome est agitée mais n’arrive jamais au vote au Parlement.

En 2022, rebelotte. Le leadership s’accorde pour ne rien ratifier avant la fin de la guerre.

L’Ukraine est évidemment prudente quant les actions de ses soldats dans le cadre d’un conflit de longue durée, où des bavures, exactions et crimes de guerre pourraient être commis.

Depuis 2014, il y en a eu, des dérives. Mais beaucoup d’entre elles sont poursuivies par la justice.

Une avocate de Kiev spécialisée sur la question m’a avancé le chiffre d’une centaine de condamnations de soldats ukrainiens, dont de lourdes peines de prison.

On dira évidemment que trop peu de crimes ont été poursuivis, que les peines sont trop légères, que la justice rendue ne sera jamais suffisante pour les victimes et leurs familles.

Et il faut être prudent avec cela car certaines voix s’élèvent déjà en Ukraine pour ratifier le statut de Rome à la condition de prévoir une exception pour les forces armées.

Mais le simple fait que la justice ukrainienne a traité et puni depuis 2014 certains de ces abus marque une différence fondamentale - une de plus - avec la Russie.

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Si l’Ukraine ratifie le statut de Rome et devient le 125ème Etat membre de la Cour pénale internationale, cela renforcera son assise au sein du système du droit international, par exemple en pouvant nommer un juge à la cour.

Depuis 2014, l’Ukraine est très friande de la justice internationale. Elle s’en est servi dans des affaires liées à la Crimée, aux contrats de gaz, aux violations des droits de l’homme, à la libre circulation dans la mer noire…

Et la plupart du temps, elle a gagné, ce qui a renforcé sa position dans son conflit contre la Russie.

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La ratification du statut de Rome aiderait aussi l’Ukraine dans son opération de séduction, très poussive, vis-à-vis du “sud global”.

On sait que la cour est décriée pour servir la justice des riches hommes blancs, ce qui est évidemment loin d’être aussi simple.

La cour va d’ailleurs connaître un défi en octobre: la présidente mexicaine nouvellement élue Claudia Sheinbaum a invité Vladimir Poutine à son investiture.

Le Mexique est partie au statut de Rome et doit arrêter Poutine.

Mais Mexico a déjà indiqué à l’Ukraine qu’il ne procèdera pas à son arrestation. C’est donc un défi lancé à la cour pénale internationale.

Si l’Ukraine faisait partie de la cour, son argumentaire s’en trouverait renforcé.

Est-ce que le Parlement ukrainien peut ratifier avant octobre? Et si oui, dans quelles conditions et avec quelles exemptions?

On va continuer à suivre tout cela.

Pour l’instant, merci d’avoir regardé!

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