Ouest France: Doux. Qui est MHP, le repreneur ukrainien dont personne ne veut?

Article publié dans Ouest France, le 28/03/2018

L’Ukrainien MHP est repreneur potentiel du groupe breton Doux. Sa proposition ne déclenche pas l’enthousiasme. Il est désormais contré par une autre offre, franco-française, celle de LDC. Le suspense perdure jusqu’à la date limite de dépôt des dossiers, ce 28 mars, à minuit. Que cache le groupe MHP ? Il a cherché ce soir à rassurer en détaillant son offre et promis une nouvelle usine à Chateaulin.

L’Ukrainien MHP se positionne comme potentiel repreneur du vollailler breton Doux. Avec 566 000 tonnes de viande de poulet produites en 2017, MHP – Myronivskyi Khliboprodukt (Produit de Pain de Myronivskyi, en ukrainien) et sa marque principale Nacha Ryaba (Notre Poulet) couvre plus de 55 % du marché ukrainien de la volaille et exporte vers 67 pays, dont 17 membres de l’Union européenne (UE). Avec le potentiel rachat de Doux, il vise visiblement plus loin encore, notamment la clientèle moyen-orientale du groupe breton.

Usine géante

MHP serait de fait peu intéressé par les infrastructures de Doux. En 2017, l’Ukrainien a entamé l’agrandissement de son usine géante, près de la ville de Vynnytsia, dans le centre du pays. Un investissement dans deux lignes de production, d’où devraient sortir 260 000 tonnes de poulet par an. De quoi optimiser le chiffre d’affaires du groupe, d’environ un milliard de dollars par an, et sa cote sur la place boursière de Londres, où il est entré en 2008. A noter que le groupe est fiscalement basé à Chypre, Etat membre de l’Union européenne (au contraire bien entendu de l’Ukraine), par ailleurs notoirement connu pour être un paradis fiscal, prisé notamment des oligarques russes.

Verticalement intégré, de la production de grain (maïs, tournesol, soja, blé) à la transformation de la viande, MHP contrôle 380 000 ha de terres en Ukraine. L’essentiel est loué, en raison d’un moratoire sur le négoce de la terre en place depuis les années 1990. Il conforte néanmoins la position dominante du groupe agro-alimentaire sur le marché ukrainien, garanti par la stature de son fondateur et actionnaire majoritaire, Iouriy Kosiouk.

Milliardaire du poulet

A 49 ans, celui-ci est un proche collaborateur du président Petro Porochenko. Si ce dernier s’est bâti une fortune en tant que « roi du chocolat », Iouriy Kosiouk est incontestablement le « milliardaire du poulet ». Sa fortune est aujourd’hui estimée à 1,5 milliard de dollars par le magazine Forbes, ce qui en fait la cinquième personne la plus riche d’Ukraine.

Émergeant dans les années sauvages qui ont suivi l’effondrement de l’URSS, Iouriy Kosiouk a développé les goûts de luxe de la nouvelle classe d’hommes d’affaires post-soviétique. On lui attribue jets privés et hélicoptère, un yacht estimé à 120 millions de dollars et une villa impressionnante dans le sud de Kiev. Selon des enquêtes de journalistes ukrainiens, les travaux de ce « petit Versailles » auraitent été entrepris sur un site archéologique protégé. Jamais remis en cause, le permis de construction laisse sous-entendre des soutiens politiques.

Aucun scandale de corruption ne vise directement Iouriy Kosiouk. Mais force est de constater qu’il a habilement su utiliser ses relations politiques. Un temps adjoint au chef de l’administration présidentielle, au plus fort de la crise de 2014 et du début de la guerre dans l’est de l’Ukraine, il a conservé une influence appréciable dans les hautes sphères du pouvoir. Plusieurs sources indiquent qu’il est particulièrement actif sur les questions liées à l’importation et à l’exportation de produits alimentaires. MHP a par ailleurs ouvert une usine de traitement de viande aux Pays-Bas, afin de contourner les obstacles des droits de douane de l’UE.

Avec la perte du complexe minier-industriel dans l’Est en guerre, le groupe agro-alimentaire a largement bénéficié du transfert des subventions d’Etat. En 2017, MHP a reçu 35 % des aides publiques du secteur, soit l’équivalent de 42,6 millions d’euros. L’aide de l’Etat à un grand groupe bénéficiaire, solide financièrement, avait soulevé un certain nombre de critiques en Ukraine.

MHP a déjà été en tractations avec le groupe Doux lors de la restructuration de 2012 mais avait finalement jeté l’éponge et renoncé à reprendre un abattoir du Pas-de-Calais qui a depuis lors fermé ses portes.

Les récentes déclarations du premier ministre Edouard Philippe, qui, la semaine dernière devant l’Assemblée nationale, affirmait que l’Etat soutiendrait une offre de reprise qui soit  crédible, avaient bien montré que celle de MHP ne l’était pas à ses yeux.

MHP, dont la logique stratégique est désormais de trouver des débouchés à son énorme outil de production ukrainien (ainsi que des retombées économiques adaptées à son endettement croissant), se trouve ce soir confronté à l’offre du géant français LDC, lui-même en forte croissance. On sait de source proche du dossier qu’elle a été fortement incitée par une pression des milieux économiques et politiques, même si son détail n’est pas encore connu.

MHP promet une usine neuve à Chateaulin

Alors que l’ultimatum fixé par Terrena pour recevoir des offres de reprise arrivait à échéance ce 28 mars, MHP a publié un certain nombre de détails sur son projet français. Voici le communiqué du groupe ukrainien :

MHP confirme déposer une offre pour la reprise partielle des activités de Doux et son intention de développer un projet stratégique industriel de long-terme à Chateaulin, Quimper et Plouray

Paris, le 28 mars 2018 – MHP Group, groupe agro-industriel d’envergure internationale, confirme ce jour qu’une offre pour la reprise partielle des activités de Doux sera déposée ce soir.

Le projet de MHP est de mettre au point un modèle industriel robuste qui s’appuiera sur les forces et les actifs de Doux tout en adaptant son modèle aux conditions de marché actuelles pour assurer la pérennité de l’entreprise.

Soutenu par un investissement de 76 millions d’euros, le projet permettra de :

  • Constituer et développer sur le long terme une empreinte dans la filière avicole bretonne, valorisant le savoir-faire local et l’héritage de Doux en conservant ses marques en France

  • Développer des partenariats avec la Région Bretagne et les autorités françaises autour d’un objectif partagé de pérennité économique

  • Disposer d’un outil industriel à la pointe de la technologie, adapté aux exigences du marché

Un projet industriel robuste et pertinent pour la Bretagne

La stratégie de MHP repose sur deux piliers :

  • En priorité, le développement de l’activité Produits Frais à destination du marché français. Cela passera par des investissements d’ampleur dans l’outil de production et le développement de la marque Doux. Pour cela, une nouvelle usine à la pointe de la technologie sera construite à Chateaulin à horizon deux ans et des investissements seront réalisés pour la remise à niveau des installations de production amont.

  • Le maintien de l’activité Produits Elaborés et de sa croissance

L’activité Export de poulets congelés sera repensée pour assurer sa compétitivité sur le marché global et sa pérennité en maintenant la valeur en France.

L’activité d’export de poules et dindes sera conservée à Plouray.

La stratégie développée par MHP permettrait la sauvegarde immédiate d’environ 285 postes auxquels s’ajouteraient environ 430 postes au démarrage de la nouvelle unité de production à Chateaulin d’ici 2 ans. Les employés de Doux bénéficieraient d’une priorité à l’embauche.

Enfin des postes supplémentaires pourraient être créés en fonction des conditions de marché qui permettraient d’augmenter la capacité de l’usine.

John Rich, Président de MHP, commente : “Nous sommes convaincus que notre projet est solide et pertinent pour le tissu économique Breton. L’acquisition des activités de Doux et le développement à venir des infrastructures industrielles à Chateaulin sont un projet stratégique majeur pour notre groupe et pour l’ensemble de la filière avicole bretonne.  C’est également bien entendu une reconnaissance des savoir-faire au sein du Groupe Doux. Nous souhaitons remercier chaleureusement l’Etat français et la Région Bretagne pour la qualité du dialogue et le soutien reçu au cours des dernières semaines.”

Les informations relatives à la transaction ne sont pas communiquées.

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