Poutine: zéro succès stratégique depuis 2022?

A près de 1000 jours d’invasion généralisée de l’Ukraine, Vladimir Poutine n’aurait atteint aucun de ses objectifs stratégiques

C’est ce qu’a affirmé le secrétaire américain à la défense Lloyd Austin dans un article publié dans Foreign Affairs le 1er novembre

Il met en avant les pertes et les faiblesses réelles ou supposées de la Russie

Mais il passe aussi sous silence les faiblesses des soutiens occidentaux de l’Ukraine et la dégradation globale du contexte international depuis le 24 février 2022

On comprend que le secrétaire à la défense souhaite défendre son bilan

Mais justement, ce bilan de l’administration Biden, il n’est pas très glorieux

au vu de la victoire très nette de Donald Trump aux élections

Mais aussi compte tenu d’un des gros sujets qui nous intéresse ici sur cette chaîne, la guerre russe en Ukraine

Bonjour à tous, c’est Sébastien, bienvenue dans cette vidéo au lendemain de l’élection présidentielle américaine, je reviens sur le bilan de Joe Biden et sur ses manquements géopolitiques.

Donc le point de départ, c’est cette affirmation de Lloyd Austin, le secrétaire américain à la défense.

Poutine n’aurait atteint aucun de ses objectifs stratégiques puisque Kiev n’est pas tombée, que Zelensky n’a pas pris la fuite, que l’Ukraine a résisté

Les presque trois ans d’invasion généralisée ont coûté très cher à la Russie

En hommes évidemment: une récente estimation du haut commandement ukrainien parle de plus de 700 000 morts et blessés côté russe

Une estimation à prendre avec beaucoup de prudence évidemment, mais on parle de plusieurs centaines de milliers de morts - des deux côtés

Les questions de mobilisation, d’approvisionnement du front et de gestion des opérations militaires ont été tellement problématiques qu’elles ont provoqué ce que l’on a appelé l’insurrection ou l’aventure de Yevgueni Prigojyne, à l’été 2023

Qui, quoi que l’on dise, a bel et bien fait trembler le Kremlin.

La guerre coûte cher aussi en général mais en l’occurence à la Russie, vu que c’est d’elle que l’on parle

Lloyd Austin estime que Moscou a perdu 200 milliards de dollars dans son effort de guerre donc en matériel, armement, munitions, infrastructures

Encore une fois une estimation difficile à vérifier mais l’économie russe n’est pas particulièrement florissante

On constate de nombreuses pénuries de main d’oeuvre dans de nombreux secteurs

A cela s’ajoutent les sanctions internationales, principalement occidentales

qui n’ont pas mis l’économie russe à genou mais qui lui font mal

On le voit dans beaucoup de secteurs, à commencer par l’aviation civile

ou encore le fait que le géant du gaz naturel Gazprom soit devenu une entreprise déficitaire depuis 2023

parce qu’elle n’exporte plus d’hydrocarbures au prix comptant vers les pays européens

Il y a aussi ces 300 milliards de dollars d’actifs russes qui ont été saisis dans des banques de part le monde

et qui ne vont pas être rendus à la Russie de si tôt.

A cette liste de difficultés rencontrées par la Russie qui expliqueraient qu’elle n’a pas rempli ses objectifs stratégiques,

on peut rajouter les résolutions condamnant son invasion par l’assemblée générale de l’ONU,

le mandat d’arrêt émis par la cour pénale internationale à l’encontre de Vladimir Poutine,

et en général un certain isolement diplomatique vis-à-vis d’une centaine de pays du monde, à la louche

Le récent sommet des BRICS, je vais y revenir, a rompu cette sensation d’isolement diplomatique

Mais le communiqué final ne reprend pas le récit russe sur les justifications de l’invasion

d’un autre côté, l’Ouzbékistan a récemment annoncé qu’elle ne voulait pas rejoindre l’union eurasiatique, un grand projet géopolitique de Poutine

qui visiblement ne s’est pas encore imposé comme un modèle attractif.

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Ca, c’est une liste de facteurs qui expliqueraient que la Russie est mal en point, qu’elle n’a pas rempli ses objectifs stratégiques

et que le temps serait du côté de l’Ukraine et de l’Occident

C’est une manière de mettre en avant la gestion mesurée et réfléchie de la guerre,

qui a permis à l’Ukraine de résister tout en évitant l’escalade, c’est-à-dire une guerre directe entre l’Otan et la Russie et un conflit nucléaire.

C’est quelque chose que l’on entend beaucoup pour défendre et vanter la politique des Occidentaux, en premier lieu de l’administration Biden.

Et le fait que l’article de Foreign affairs soit sorti quelques jours avant l’élection n’est pas un hasard, il vise clairement à défendre un bilan et à assurer que tout a été fait au mieux.

Et beaucoup de ces arguments que j’ai listé sont vrais, la Russie n’est pas dans une position optimale, dirons-nous

et l’Ukraine résiste bel et bien, près de trois ans après le lancement de l’invasion

Mais il faut aussi voir l’envers du décor, c’est-à-dire les points forts et les réussites de la Russie

et aussi ce que le prolongement de cette situation implique pour l’ordre international.

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Dans sa guerre, la Russie a réussi à occuper plus de 20% du territoire ukrainien

En plus de la Crimée annexée en 2014, elle a annexée 4 oblasts de plus sur le papier

Et on imagine mal un retour en arrière

Moscou a mis la main sur des ressources minérales, agricoles et industrielles de l’Ukraine

Ainsi que sur un bassin de population de plusieurs centaines de milliers de personnes, si ce n’est plusieurs millions

Les déplacements de population et les enlèvements d’enfants ukrainiens viennent compenser en partie un déficit démographique critique

L’Ukraine résiste, certes, mais elle est dépeuplée,

une partie de son territoire est détruit et ruiné,

son économie n’est pas exactement exsangue mais elle ne pourrait résister si les occidentaux interrompaient leur soutien financier

Quel que soit l’issue de la guerre, l’Ukraine mettra des décennies à s’en remettre et cela obère ses perspectives de croissance et développement mais aussi d’adhésion rapide au marché unique européen.

Poutine a bel et bien perdu l’Ukraine en tant que partenaire, l’immense majorité des Ukrainiens ne veulent plus entendre parler des Russes ou d’un renouvellement des liens avec la Russie

L’unité du pays n’est pas remise en cause,

mais plus le temps passe, et plus des fractures apparaissent au sein de la société ukrainienne

sur les questions de mobilisation, d’émigration, de corruption, de conduite de la guerre…

Donc il faut prendre ça en compte: une Ukraine occupée à 20% et structurellement affaiblie, c’est déjà un succès pour Vladimir Poutine.

L’économie russe, j’en ai parlé, elle est mise à mal par les sanctions mais elle résiste

on a assisté à une diversification des circuits financiers et commerciaux

et à la mise sur pied d’une économie de guerre

qui assure à la Russie une résilience sur le long-terme

Cette diversification a aussi servi les intérêts russes à l’international

en renforçant ses partenariats avec la Chine, l’Inde, les Etats d’Asie centrale et du Caucase

Avec le contournement des sanctions, les liens commerciaux s’intensifient et bien sûr les liens politiques.

On a vu comment cette tendance s’est affirmée entre la Russie, l’Iran et la Corée du nord

A tel point que ce deux derniers pays est désormais directement impliqué dans la guerre à travers son envoi de soldats.

Ce renforcement d’un groupe de puissances que l’on peut qualifier de révisionnistes et vindicatrices à l’encontre de l’occident bien sûr

mais plus généralement par rapport à l’ordre international tel qu’il a été établi en 1945 et conforté en 1991,

le renforcement de ce groupe crée un véritable contre-poids aux puissances occidentales, qui met en oeuvre une politique du chaos

C’est une théorie développée par exemple par Isabelle Mandraud et Julien Théron dans leur livre “la stratégie du désordre”, je vous mets le lien en description

l’idée que ces pays ne sont pas assez puissants pour lancer un affrontement frontal avec l’Occident mais qu’ils travaillent aux marges et sapent les fondements des sociétés occidentales.

Ca on l’a vu dans de récentes élections à travers le monde

on l’a aussi vu en Afrique de l’ouest, où les Russes se sont implantés au point de créer les conditions d’un rejet des occidentaux, français en tête.

On l’a vu au Proche orient où le jeu des proxies a largement contribué à l’embrasement actuel.

Et là, on ne peut pas s’empêcher de s’interroger: si les occidentaux avaient réagi plus fermement le 24 février 2022

Au lieu de se réfugier derrière des lignes rouges imaginaires qui ont toutes été franchies ces deux dernières années

Est-ce que tous ces développements se seraient produits? est-ce que en voulant éviter l’escalade les Occidentaux, l’administration Biden en l’occurence, n’ont pas favorisé l’escalade?

Plus le temps passe, et plus le récit russe de lutte contre l’impérialisme occidental s’installe parmi les pays de ce que l’on appelle le sud global

On le voit dans les votes à l’ONU

On le voit aussi dans le dernier sommet des BRICS à Kazan en Russie qui a attiré beaucoup de chefs d’Etat et de gouvernement

On voit ici que les BRICS s’installent comme alternative crédible au G7 et à d’autres institutions multilatérales

et qu’en fait l’ordre international que les Américains prétendent sauvegarder à travers leur engagement en Ukraine, il appartient de plus en plus au passé.

Si l’invasion russe avait été stoppée plus nettement en 2022, cet ordre international aurait pu être rétabli

même s’il doit être profondément réformé de toutes les manières car il est profondément injuste et archaïque par rapport à la situation de 1945

Mais aujourd’hui en 2024, il est clair qu’il ne reste plus que des débris de cet ordre international

et qu’un retour en arrière est quasi-impossible.

Et ça, c’est l’aboutissement d’un projet de très long-terme de Vladimir Poutine

Un autre grand succès: plus le temps passe, et plus les faiblesses, les manquements, les insuffisances, les lâchetés des Occidentaux sont apparentes.

Je parle évidemment de l’effet de fatigue parmi les opinions publiques et les dirigeants,

les difficultés à adopter des paquets de sanctions et d’assistance militaire

mais aussi de l’incapacité des Occidentaux à définir des buts de guerre et à se donner les moyens de les atteindre

Le fait que la Maison blanche a été incapable de réagir à l’arrivée de Nord-Coréens sur le champ de bataille est particulièrement affligeant,

Le même Lloyd Austin, l’auteur de cet article donc, allant même jusqu’à se poser la question du motif de leur déploiement

comme s’ils étaient venus faire du tourisme

on lève les yeux au ciel

Dans cette guerre, les Occidentaux ne peuvent pas se vanter de grand chose

ils ne font que confirmer leurs insuffisances, qui étaient déjà apparentes depuis que les lignes rouges de Barack Obama ont été piétinées en Syrie en 2013.

Et oui la Russie n’est pas dans une situation optimale

Mais les recompositions que cette guerre implique ont d’ores et déjà mis à bas l’ordre international

et achèvent de décrédibiliser les occidentaux en tant que puissances qui ont la capacité d’agir sur le monde

On peut donc comprendre que Lloyd Austin veuille défendre son bilan et celui de Joe Biden

Mais en prenant du recul, c’est encore un mandat désastreux de politique étrangère pour les Etats-Unis

Et là je ne parle que de la guerre russe en Ukraine

pas du proche-orient ou de l’éléphant dans la pièce, le fait que Donald Trump soit réélu Président comme un signe de rejet catégorique de la présidence Biden.

Merci à vous

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