RFI: En Ukraine, l’efficacité énergétique à marche forcée
Reportage diffusé dans l’émission Accents d’Europe, sur RFI, le 01/05/2018
Le 1er mars, le russe Gazprom décidait à la dernière minute d’annuler ses livraisons de gaz à l’Ukraine, et précipitait le pays dans une nouvelle période de tension énergétique, à une période de froid glacial. Ce nouvel affrontement gazier s’inscrit dans le contexte d’une hausse dramatique des prix de l’électricité et du chauffage au cours des dernières années. Les ménages et les municipalités cherchent à développer des alternatives. Sébastien Gobert s’est rendu à Jovkva, dans l’ouest de l’Ukraine, un des champions de l’efficacité énergétique ukrainienne.
C’est l’heure de la récréation à la crèche n°2 de Jovkva. Dans la cour, les enfants profitent gaiement d’un doux soleil de printemps, emmitouflés dans des manteaux encore bien chauds.
Les plus jeunes enfants ne s’en rappellent sans doute pas, mais les années précédentes, il fallait garder ces manteaux pour rentrer dans la classe. Svitlana Zub est directrice de la crèche depuis 2011 et a encadré des rénovations en automne 2017. Elle apprécie la différence.
Svitlana Zub: Là il fait très chaud. Avant, c’était assez dur. Je me souviens d’une fois où il faisait – 30° dehors, et à peine 8 degrés à l’intérieur. Aujourd’hui, après les rénovations, nous avons une température constante. Les parents n’hésitent plus à amener leurs enfants à la crèche. Avant ils pouvaient prendre froid. Maintenant, ils les habillent de vêtements légers. Ils se sentent bien mieux pendant la journée.
Les murs extérieurs sont bien isolés, et ont été repeints avec des couleurs vives. Les fenêtres sont neuves et n’ont plus besoin d’être ouvertes: un nouveau système de ventilation assure la circulation de l’air frais. Tout est fait pour éviter les déperditions d’énergie.
Chaudières de la crèche n°2
Au sous-sol, Svitlana Zub exhibe les nouvelles chaudières, plus efficaces, installées à l’automne. Tout respire le neuf, et le moderne. Et pour la crèche n°2, ce n’est pas qu’une question de confort.
Svitlana Zub: Si on compare à l’année dernière, notre facture de chauffage a diminué de moitié.
La crèche n°2 est un établissement public, aussi c’est la municipalité qui paie pour les dépenses d’énergie.
Et à Jovkva, la municipalité a vraiment envie de moins payer. Le maire Petro Vykhopen et son équipe ont fait de l’efficacité énergétique une priorité. Et sa détermination, elle date d’un voyage en France.
Petro Vykhopen: Je me suis rendu à Clermont-Ferrand pour une conférence de l’association “Energie Cités”. Quand j’ai entendu les représentants européens expliquer qu’il n’y aura plus de gaz ou de charbon d’ici 50 ans, j’ai eu un choc. Et j’ai compris qu’il fallait penser à la suite dès maintenant.
La suite, Jovkva l’a trouvé dans des mesures d’efficacité énergétique, mais aussi dans la diversification des sources d’énergie. Les chaudières qui alimentent une grande partie des 13.000 habitants de la ville fonctionnent déjà partiellement au bois de chauffe.
Petro Vikhopen: Notre objectif est de réduire la consommation municipale de gaz de 20%. En fait, nous en sommes déjà à 50% de réduction si on compte tous les bâtiments gérés directement par la municipalité, c’est-à-dire sans compter les immeubles résidentiels. Les propriétaires d’appartements n’ont pas tous envie de réduire leur consommation. En dehors de cela, la municipalité tient donc ses objectifs, et nous n’avons pas de grave problème. Mais il nous est impossible de renoncer au gaz pour l’instant.
Ancienne république soviétique, l’Ukraine a bénéficié pendant très longtemps de très bas coûts de l’énergie. La plupart des bâtiments sont très mal isolés, et les systèmes de chauffage centraux ont des taux de déperdition astronomiques. A cela s’ajoute les problèmes géopolitiques d’approvisionnement. Le charbon de l’est de l’Ukraine n’est plus accessible à cause de la guerre qui y fait rage depuis 2014. Et le russe Gazprom vient d’interrompre, sans prévenir, ses approvisionnement en gaz naturel.
Andriy Kirchiv est un représentant de la Convention des Maires, une initiative pan-européenne qui regroupe des municipalités engagées en faveur de l’efficacité énergétique et de la hausse des renouvelables.
Andriy Kirchiv: La question de l’efficacité énergétique, c’est un sujet sensible partout en Ukraine. Avec la hausse considérable des prix de l’énergie, tout le monde cherche des solutions. Jovkva n’est pas la seule ville dans ce cas. Mais ce qui exceptionnel à Jovkva, c’est le dynamisme de la municipalité.
Sous l’impulsion du maire, la municipalité a remporté plusieurs appels d’offres pour bénéficier de financements internationaux. Andriy Dvornikov est un jeune coordinateur de ces efforts.
Il se réjouit de montrer le nouveau système de découpe de bois. La sciure va ensuite alimenter les nouvelles chaudières dans un bâtiment voisin.
Andriy Dvornikov: Vous voyez, on a ces trois fours modernisés qui fonctionnent. Un qui a été financé par l’Etat, et deux autres qui ont été financés par les partenariats de la municipalité.
Une quatrième chaudière au gaz est placée en réserve en cas de chute brutale des températures. La municipalité assure être prête à tout, et retirer des bénéfices conséquents de ses efforts d’efficacité énergétique. Pour autant, l’effet d’entraînement peine à prendre de l’ampleur. le maire Petro Vykhopen rencontre des résistances de la part de ses propres concitoyens.
Petro Vykhopen: Pour l’instant, les particuliers ne sont pas poussés à investir dans des mesures d’efficacité énergétique. Les tarifs du système central sont encore acceptables, et beaucoup de ménages bénéficient d’aides d’Etat. Les mesures d’efficacité énergétique ne se généraliseront que quand les particuliers en sentiront l’effet sur leur portefeuille.
Le portefeuille, c’est important, en particulier dans un contexte de crise et de baisse du pouvoir d’achat. Pour autant, les bénéfices de la politique énergétique de la municipalité ne sont pas que financiers. Andriy Kirchiv.
Andriy Kirchiv: Après la rénovation de la crèche, le maître d’œuvre des travaux a expliqué que ce projet l’avait forcé pour la première fois à travailler en fonction des normes européennes. Et ses ouvriers ont appris avec lui!
Pour Andriy Kirchiv, l’exemple de Jovkva doit servir de modèle à reproduire. Lui voit des initiatives similaires fleurir dans toutes les régions d’Ukraine, à l’ouest comme à l’est.
Andriy Kirchiv: Si on parle du chauffage, il faut d’abord assurer l’isolation thermique du bâtiment. Changer les fenêtres, les radiateurs, les tuyaux, et ainsi de suite. Et une fois que l’efficacité énergétique est maximale, on peut penser à la source d’énergie. Ce qui s’applique à Jovkva est vrai pour tout le pays. D’abord consommer moins, et ensuite adapter la production d’énergie aux besoins.
Dans un contexte économique morose au niveau national, Jovkva est un de ces micro-projets qui vise à changer la vie d’une petite ville d’Ukraine, dans l’espoir que son expérience se diffuse au-delà. Un pari qui pourrait porter ses fruits sur le long-terme. Au moins les enfants de la crèche n°2 grandissent déjà dans un nouvel environnement, sans courant d’air.