RFI: Journée décisive de la lutte anti-corruption à Kiev

Intervention dans la séquence “Bonjour l’Europe”, le 07/06/2018

La corruption endémique qui paralyse l’Ukraine depuis son indépendance en 1991 était une des raisons de la Révolution de la Dignité en 2013. Plus de 4 ans après, un pas important pourrait être franchi aujourd’hui. Le Parlement à Kiev doit voter la création d’une haute cour anti-corruption, seul moyen de traduire les politiciens et hauts fonctionnaires corrompus en justice. Mais ça ne va pas de soi…
Pour en parler, Sébastien Gobert

Pourquoi une haute cour anti-corruption?

L’Ukraine s’est dotée de plusieurs institutions de lutte anti-corruption depuis 2014. Cela s’est fait en coopération avec la société civile et les partenaires occidentaux de l’Ukraine. Le Bureau national anti-corruption fait un travail de détective. Le Bureau spécial de procureurs anti-corruption prépare les affaires à présenter à un tribunal. Et précisemment, il manque ce tribunal.

Et il manque cruellement. Une bonne poignée de personnalités politiques, de juges, et de fonctionnaires, ont été arrêtés ces dernières années pour corruption. Ce sont des représentants de l’ancien régime, d’avant 2014, mais aussi des collaborateurs du régime actuel de Petro Porochenko. Mais une fois devant un tribunal, disons, “classique”, les juges rejettent les pièces à conviction présentés par les détectives et procureurs, les uns après les autres, et libèrent les suspects. C’est pour cela qu’il faut un nouveau tribunal, et des juges indépendants.

Si c’est si important que cela, pourquoi attendre plus de 4 ans après la révolution pour la créer?

C’est un serpent de mer de la politique ukrainienne depuis déjà plus de 2 ans. La classe politique a freiné des quatre fers la création de la cour. Que ce soit gouvernement ou opposition, la plupart des élites du pays a joui d’une impunité sans bornes depuis plus de 25 ans. Aucun n’a intérêt à ce qu’un système judiciaire indépendant puisse les condamner. Tous les stratagèmes ont été utilisés. Le Président Petro Porochenko a une responsabilité directe dans ces retards. Lui et ses collaborateurs veulent apparement empêcher que le tribunal puisse travailler avant l’élection présidentielle du printemps 2019.

Aujourd’hui, c’est visiblement le vote de la dernière chance. Les Occidentaux sont lassés d’attendre, la société civile est exaspérée. Et même le Premier ministre a annoncé qu’il démissionnerait si le Parlement ne vote pas la création de la cour aujourd’hui. Est-ce une posture de facade ou non? En tous cas, on a atteint un point de non-retour.

L’enjeu est de taille, notamment vis-à-vis des partenaires internationaux de l’Ukraine…?

C’est sans doute ce qui rajoute à la pression. Le FMI a déjà suspendu son programme d’aide financière à la fin 2017. L’Union européenne entend débourser 1 milliard d’euros pour aider l’Ukraine. Mais une des conditions, c’est la création de la cour anti-corruption. Si l’Ukraine ne reçoit pas d’assistance très rapidement, le ministre des finances assure qu’il manquera au moins 4 milliards de dollars pour boucler le budget 2018. Certains reparlent même du spectre d’un défaut sur la dette.

Alors aujourd’hui est vraiment décisif, pour la lutte anti-corruption, mais aussi pour l’équilibre financier du pays. Mais attention: il ne s’agit pas seulement de créer une cour anti-corruption, mais de garantir une bonne sélection des juges, et leur indépendance du pouvoir politique. Dans les précédents projets de loi, et plus d’un millier d’amendements qui ont été proposés, ces critères n’étaient pas respectés. On va voir ce que les députés vont adopter aujourd’hui…

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