RFI: Dans le nord de la Moldavie, Bienvenue à Paris!

Reportage co-réalisé avec Damien Dubuc, diffusé dans l'émission Accents d'Europe, le 04/11/2013La Moldavie se dépeuple et ses campagnes se vident. Alors que la population ne dépasse pas 3,6 millions d'habitants, on estime que 600.000 à un million de travailleurs sont partis chercher un emploi à l'étranger. Beaucoup d'entre eux sont en Russie ou en Italie. A Corjeuti (prononcer CORJEUTS), non loin de la frontière avec l'Ukraine, la situation est un peu différente : plus d'un quart des habitants a choisi la région parisienne. Grâce à l'argent qu'ils envoient, le village prospère. Un nouveau restaurant vient d'ouvrir, et il s'appelle « La Paris »Sébastien Gobert et Damien Dubuc sont allés sur place. La Paris extérieur

Au rez-de-chaussée, les tables donnent sur les berges de Seine. Depuis la salle de réception, au premier, la vue est imprenable sur la tour Eiffel.

Veaceslav : Bienvenus à Paris !

Veaceslav Groza ne nous accueille pas exactement à Paris, mais à « La Paris », le café, restaurant et salle de réception qu'il a ouvert dans le centre de Corjeuti juste avant l'été. L'édifice est imposant pour ce village du nord de la Moldavie d'environ 7.700 habitants. La réplique de la Tour Eiffel fait environ 18 mètres de haut, et elle attire déjà des jeunes couples non seulement de la région, mais aussi de tout le pays qui viennent se faire prendre en photo et célébrer leur mariage ici.

C'est aussi le symbole des liens qui unissent Corjeuti et la région parisienne. Veacelsav nous explique comment est née son idée :

Veaceslav: La Paris, c'est parce qu'il y a, on peut dire, presque 2-3.000 personnes qui sont à paris, qui travaillent à Paris. Ca veut que Paris c'est là. Par rapport à ça on a fait. Parce que ça manquait, ça, ici. Pour un restaurant, c'était trop long. C'était à quoi, 40 kilomètres. Comme ça on a fait ça dans notre village, avec le maire qui a donné des coups de main à droite, à gauche, et on a fait tout ça.

Veaceslav est lui-même parti chercher du travail en France quand il avait 22 ans, grâce à un faux passeport roumain. Il n'est revenu pour de bon que cette année, après 13 ans d'aller-retours et au moins une arrestation. Il a vécu dans une caravane avant de se payer son propre appartement, déménageant au gré des petits boulots qu'il trouvait, surtout dans le bâtiment. Le travail était pénible, les journées longues.

Mais pour lui, le plus difficile, c'est pour ceux qui restent en Moldavie. Et d'abord pour les enfants. Sa fille a 16 ans maintenant, mais il ne l'a pas vraiment vu grandir : il y a eu une période où il est resté jusqu'à six ans sans la voir ! A Corjeuti, et en Moldavie en général, de nombreux jeunes ont au moins un ou deux de leurs parents qui sont partis, principalement en Russie et en Europe de l'ouest. On trouve beaucoup de mères qui prennent tout en charge, avec l'aide éventuelle des grands parents.

La Moldavie est le pays le plus pauvre d'Europe. Le salaire moyen officiel ne dépasse pas les 200 euros. Les émigrés font en général de gros sacrifices pour mettre quelques centaines d'euros de côté chaque mois et l'envoyer au pays. Et l'impact est flagrant. On se promène sur les « Champs Élysées » de Corjeuti, où des Mercedes rutilantes défilent devant d'imposantes villas de style baroque.

Nous croisons André qui décharge une cargaison de pommes. Il ne parle pas un mot de français, mais Paris, il connaît bien.

André: J'étais là-bas, comme beaucoup d'autres. J'y suis resté trois ans, c'était plus facile d'aller là-bas que dans d'autres pays, j'y avais des amis. J'y suis allé pour l'argent, vous savez les conditions de vie étaient très mauvaises. C'était juste de la survie, j'économisais sur tout. A la maison, c'est bien mieux ».

Et il n'y pas que les familles qui bénéficient de l'argent envoyé à la maison. Il y a maintenant 750 tracteurs qui sont enregistrés sur le territoire de la commune. De nombreuses petites entreprises offrent des outils et matériels de chantier. Des ouvriers s'activent pour construire un pont et goudronner des routes défoncées. C'est tout le village qui se transforme, grâce à des fonds privés mais aussi grâce à des investissements des pouvoirs publics, qui semblent avoir compris que Corjeuti est un village très spécial.

Le succès de l'émigration est tel que Corjeuti commence à manquer de bras pour assurer les récoltes et construire les routes et il faut faire appel à de la main d’œuvre venue du sud du pays. Mais qu'importe : pour Viktor Andronic, le maire du village, l'émigration de masse, c'est une bénédiction.

Viktor: Ce n'est pas du tout un problème. Sinon, qu'est-ce qu'il y aurait à faire ici ? Je serais le maire d'un village lambda comme dans le reste de la région. Qu'est-ce qu'il y a comme perspective ici ? Les gens gagnent plus d'argent là-bas. Ils travaillent là-bas, ils construisent des maisons. Vous voyez qu'il y a beaucoup de changements, les infrastructures sont refaites à neuf. Et Ici, nous n'avons pas de problème de chômage. Les gens ne créent pas de problèmes, ils ne traînent sans rien faire.

En vantant ainsi les mérites de l'émigration, pas étonnant que les candidats au départ ne diminuent pas. Ivan a 25 ans, il veut être le prochain sur la liste.

Ivan: J'attends juste d'avoir quelqu'un qui puisse m'aider sur place, et je pars. Là-bas c'est mieux. Beaucoup de gens sont partis d'ici, vous voyez ils gagnent bien leur vie, regardez leurs belles voitures. Et de toutes les manières, j'ai envie de vivre en Europe. Les gens ont des meilleurs salaires, ils vivent mieux. Ici, les gens n'ont pas d'argent. C'est pas mal quand même, mais... disons que c'est différent. »

Au moment où la Moldavie prend le chemin de l'Union européenne, avec qui elle doit signer un accord d'association en novembre, il semble que les habitants de Corjeuti sont déjà sur la route.

Previous
Previous

RFI: Nouveautés gazières en Ukraine

Next
Next

La Libre Belgique: Rencontre avec Victor Iouchtchenko