TDG: Un Etat cosaque dans une république séparatiste
Article publié dans la Tribune de Genève, le 15/10/2014
«Ils se sont déjà trop habitués à voler les gens. Si Lougansk continue à prendre sans partager en retour, je me dresserai contre Lougansk!» La voix rauque de Pavel Dremov résonne de tous les coins de la place principale de Stakhanov, ville sise à 60 km à l’ouest de Lougansk. Devant plus d’un millier d’habitants attentifs, la silhouette du chef de guerre s’agite, sous sa toque noire de Cosaque du Don.
«Nous faisons tout ce que nous pouvons pour rétablir les services communaux et payer les retraites et salaires publics. Mais nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes. La Russie ne nous aide pas suffisamment et la République populaire de Lougansk (RPL) pas du tout!»
Une harangue qui ne laisse pas de marbre Alexeï Karyakin, président du Parlement de la RPL, qui tente maladroitement d’interrompre Pavel Dremov. Sans succès. La séance publique de questions et de doléances, une scène singulière, qui illustre la spécificité de la «République de Stakhanov», de facto un électron libre au sein de la RPL. Une autonomie assurée par la popularité de Pavel Dremov. Parmi tous les orateurs, c’est bien lui que la foule applaudit. C’est vers lui que vont les vœux, les prières et les bénédictions des nombreuses retraitées qui prennent part au rassemblement.
«Quand nos troupes reprendront-elles les territoires perdus (ndlr: du reste de la région de Lougansk)?» La question émerge de la foule entre deux discours. Pour Alexeï Karyakin, c’est une question de temps et de «négociations difficiles avec Kiev». Une réponse diplomatique vite oubliée quand Pavel Dremov assène qu’il n’aura «pas de répit tant que nous n’aurons pas récupéré ces territoires!» sa voix portée par les vivats de la foule.
«Mon rêve, c’est la République des Cosaques! A cause de la guerre, il faut attendre. Mais nous ne nous laisserons pas marcher sur les pieds», affirme Pavel Dremov une fois assis devant un bon repas servi à son quartier général. «Je leur dis souvent à Lougansk: «Pourquoi faites-vous pire que le gouvernement ukrainien? A quoi ça sert?» Eux sont bien assis là-bas et attendent que ça se passe. Nous, nous agissons. L’eau, l’électricité, le chauffage: tout ça fonctionne, alors qu’à Lougansk, ils sont plus démunis que jamais. Et ce n’est pas une question de relations publiques: ni moi ni aucun de mes hommes ne prendrons part aux élections législatives du 2 novembre.»
«Etre Cosaque, c’est avoir la responsabilité de récolter ce que l’on a semé, explique avec simplicité Vassili Stepanovitch, la soixantaine, entre deux cuillères de bortsch. J’ai prêté serment à l’âge de 5 ans, mon éducation a été marquée par un sens de l’honneur, des valeurs de solidarité et d’autogestion.» Une idée de communauté qui se fond dans le concept civilisationnel de «monde russe», différencié d’une appartenance pure et simple à la Russie. Les Cosaques ne cachent d’ailleurs pas leurs critiques vis-à-vis de «Vladimir Vladimirovitch» Poutine, jugé partiellement responsable d’un mémorandum de Minsk insatisfaisant.
«Nous ne sommes pas prorusses, nous sommes prosoviétiques», résume Pavel Dremov, en suscitant l’approbation de ses hommes. A quelques centaines de mètres de son quartier général, la statue du mineur légendaire Stakhanov, héros d’un record manipulé d’extraction de charbon en 1935, fait toujours la fierté de la ville qui porte son nom. «L’URSS était le meilleur gouvernement de l’histoire de l’humanité. Nous voulons recréer cela ici. Mais avec ce gouvernement de RPL, c’est difficile. Nous croyons au gouvernement de l’être, eux pratiquent le gouvernement de l’argent.»