RFI: Entretien avec Petro Porochenko: "Poutine veut toute l'Europe"

Entretien conduit avec Petro Porochenko, Président de l'Ukraine, diffusé sur RFI, le 03/08.2015Cet entretien a été conduit dans le bâtiment de l’administration présidentielle, à Kiev, le samedi 1er août. Il a été réalisé conjointement avec deux journalistes. STEFAN SCHOCHER (à droite sur la photo) pour le journal autrichien “Kurier”. JUSSI Niemeläinen (à gauche) pour “Helsingin Sanomat”, en Finlande. LAZ_8820

Poutine veut aller aussi loin que l’on y autorisera. Il veut toute l’Europe. Si l’on m’avait posé la question il y a deux ans, je vous aurai répondu que cela était  impossible! Le système de sécurité internationale instauré après la seconde guerre mondiale ne pouvait pas le permettre. Mais si on me pose la question aujourd’hui, je vous assure que tout est possible! Et plusieurs dirigeants européens partagent cette opinion. Avec l’annexion de la Crimée et l’agression de l’est de l’Ukraine, Poutine a fracassé le système de sécurité internationale. Une agression contre la Finlande est-elle possible? Oui. Et la Finlande en est bien consciente. Une agression contre les Etats baltes est-elle possible? Bien sûr. Une agression dans l’espace de la mer noire est-elle possible ? Oui. Et c’est pour cela que Poutine a augmenté sa capacité d’attaque sur la péninsule de Crimée. Et c’est pourquoi, quand nous parlons des Ukrainiens qui se battent dans l’est de mon pays, nous ne parlons pas seulement d’une lutte pour l’intégrité et l’indépendance de l’Ukraine: nous combattons pour la démocratie, pour la liberté, pour la sécurité de tout le continent européen.

Il se veut le « président de la paix » dans un pays en guerre. Petro Porochenko est à la tête de l’Ukraine depuis mai 2014. En plus d'avoir à gérer l’annexion de la Crimée par la Russie et une guerre hybride dans l’est du pays, opposant les Ukrainiens aux forces pro-russes et russes, Petro Porochenko s’est engagé à profondément réformer son pays, de l’économie à la justice, en passant par la lutte contre la corruption. Notre correspondant en Ukraine, Sébastien Gobert, l’a rencontré dans ses bureaux, samedi 1er août, pour discuter de son action, et de son message aux Européens. L'entretien a été conduit dans le bâtiment de l’administration présidentielle, à Kiev, le samedi 1er août. Il a été réalisé conjointement avec deux journalistes, un représentant le journal autrichien Kurier, et l’autre le journal Helsingin Sanomat en Finlande.

RFI : Monsieur le Président, vous êtes arrivé au pouvoir dans la vague de la Révolution de la Dignité, pendant l’hiver 2013-2014. Mais presqu’un an et demi après, les Ukrainiens semblent encore attendre les réformes pour lesquelles ils se sont battus.Petro Porochenko : Dans un contexte de guerre et d’augmentation des dépenses de défense, il n’existe pas d’autres cas où un gouvernement ou un président a mené des réformes avec succès. Mais nous, pendant la guerre, nous avons réduit les déficits budgétaires, nous mettons en œuvre la décentralisation du pays, nous établissons l’Etat de droit, nous conduisons une réforme très difficile du système judiciaire, nous luttons contre la bureaucratie et l’oligarchie. Ces réformes sont très douloureuses. Et nous mettons notre réputation en jeu pour changer le pays.LAZ_8870La richesse nationale de l’Ukraine est moins élevée aujourd’hui qu’en 1990, à la fin de l’URSS. Quel avenir pouvez-vous proposer aux Ukrainiens ? Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de monde qui éprouve une vraie nostalgie de l’URSS. Les résultats des dernières élections présidentielles et parlementaires ont démontré cela très clairement. Mais vous avez raison, notre richesse nationale a diminué, et il y a une explication très simple : 25% de la production industrielle est en territoire occupé. 10% du revenu industriel a physiquement été détruit par la guerre ou bien démonté et transporté vers le pays agresseur, la Fédération de Russie.Et dans le même temps, en parallèle de l’agression de l’est de mon pays, en plus de l’annexion de la Crimée, les Russes nous ferment leurs marchés. Ils ont lancé une guerre commerciale de grande ampleur contre l’Ukraine. Nous recherchons activement des marchés de substitution. Mais c’est peut-être la pire des épreuves que nous inflige l’agresseur.Les hostilités qui se poursuivent dans le Donbass, à l’est de l’Ukraine, sont un véritable obstacle au développement économique et aux réformes. Pourquoi ne pas tout simplement céder la région à ceux qui la veulent ? C’est un territoire ukrainien ! Il y a 4 millions d’Ukrainiens qui y habitent. Ils subissent la pression des troupes russes qui occupent mon pays. Nous autres Ukrainiens, nous n’avons aucun problème pour trouver des compromis entre nous. C’est la propagande russe qui tente de présenter cela comme un conflit interne aux Ukrainiens. Non ! C’est une véritable agression contre mon pays. Et à l’heure où nous parlons, il y a 9 000 soldats russes, équipés d’armes russes les plus modernes, qui occupent mon territoire. Et plus des 60 000 soldats russes qui occupent la Crimée ! C’est une violation brutale du droit international et il est impossible d’abandonner la moindre parcelle de mon territoire.La nouvelle loi sur la décentralisation donne plus de pouvoir aux collectivités territoriales, notamment dans les territoires séparatistes. Malgré cela, vous continuez d’appeler les représentants pro-russes des « terroristes ». Pouvez-vous dialoguer, voire travailler avec eux ?Si ces personnes ne tuent pas d’Ukrainiens, alors elles bénéficieront d’une amnistie après la tenue d’élections. Ceux-là, je ne les appelle pas « terroristes », mais « criminels ». S’ils ont tué, ils doivent être tenus responsables. Sinon, c’est très simple : nous organiserons des élections et il y aura une loi d’amnistie.Vous dites que les Ukrainiens se battent pour la sécurité de tout le continent européen. Qu’attendez-vous de vos partenaires occidentaux dans ce combat ? Premièrement, nous avons besoin de la solidarité européenne avec l’Ukraine. Nous l’avons déjà. Deuxièmement, nous avons besoin d’une unité transatlantique. C’est une violation brutale du droit international, un danger global pour la sécurité mondiale. Troisièmement, nous avons besoin de soutien financier pour les réformes. Le problème principal des Ukrainiens est qu’ils abhorrent l’idée de vivre dans cette espèce d’empire soviétique, ils se considèrent eux-mêmes comme une nation européenne. Et ils veulent à tout prix mener ces réformes à bien. Quatrièmement, il faut un mécanisme pour motiver l’agresseur à remplir ses obligations. Ce sont les sanctions ! Ce n’est pas fait pour punir qui que ce soit. Mais c’est ici pour motiver l’agresseur à remplir ses obligations, à retirer ses troupes et ainsi de suite. Et cinquièmement, une coordination effective et efficace pour l’application du plan de paix de Minsk.Pouvez-vous compter sur la participation de la Russie et sur la mission d’observation de l’OSCE comme outils suffisants pour assurer l’application du plan de paix ? Sur les questions de désescalade de la situation, d’un cessez-le-feu immédiat et du retrait des troupes, ni la Russie, ni les terroristes qu’elle soutient ne mettent rien en œuvre. C’est pourquoi nous devons avoir une force de maintien de la paix, car la mission de monitoring de l’OSCE est d’une importance vitale pour nous. Mais ce n’est pas suffisant. Aujourd’hui, 1er août, c’est le 40e anniversaire des accords d’Helsinki, la création de l’OSCE. C’était un mécanisme créé pour assurer une méthode européenne civilisée afin de garder la sécurité et la stabilité sur le continent. Le même jour, à Moscou, le ministère des Affaires étrangères russes a publié un communiqué sur les 40 ans de l’OSCE en disant que l’annexion de la Crimée était légale. C’est comme cela qu’ils voient la situation. Nous — le monde entier — nous avons voté au conseil de sécurité de l’ONU pour demander la création d’un tribunal sur le MH17, et la Russie, complètement isolée, a utilisé son droit de veto pour l’empêcher. Ce veto, c’est la reconnaissance de la responsabilité russe dans cette attaque terroriste.Vous parlez beaucoup de l’agression russe. Mais à l’intérieur de l’Ukraine, les bataillons de volontaires sont devenus un véritable contre-pouvoir à l’autorité de l’Etat. Le groupe ultra-nationaliste Praviy Sektor, notamment, a été au cœur d’une véritable guerre de gangs dans l’ouest du pays début juillet. Comment empêcher que ces groupes ne deviennent un Etat dans l’Etat ? Au cours de cette année, nous avons construit une des meilleures et plus puissantes armées d’Europe, pas de doute là-dessus. La plupart des volontaires a été intégré dans l’armée, la garde nationale et ils ont renforcé notre sécurité et notre défense. Malheureusement, quelques criminels se servent du nom de ces groupes patriotes pour conduire leurs crimes. Mais ce sont des criminels ! Ils n’ont aucun fondement politique. Et la réponse de l’Etat doit être la suivante : ils doivent être considérés comme des criminels.Dmytro Iarosh, le chef de Praviy Sektor, a pris la défense de ces hommes que vous appelez criminels. Est-il lui aussi un criminel ? Non. Nous avons des positions radicalement opposées. On peut avoir un parti politique, qui peut être radical. Heureusement ou malheureusement, c’est un élément de la démocratie. Mais si ces partis politiques font semblant d’avoir des unités armées, c’est illégal. Et ces gens sont traités comme des groupes armés illégaux.Cette affaire a montré que vous ne contrôlez pas vos frontières. Croyez-vous qu’il est encore possible d’obtenir une abolition du régime de visas Schengen pour les Ukrainiens, afin qu’ils puissent voyager librement en Europe ? Nous avons la confirmation que l’incident est terminé. Nous avons assuré la paix et la stabilité. La réaction des autorités ukrainiennes a été rapide et efficace. Le problème n’est pas quand la contrebande existe, c’est quand l’Etat ne lutte pas contre le phénomène. Ce n’est pas la particularité de l’Ukraine. C’est un problème pour de nombreux pays! Et c’est seulement à travers la collaboration que l’on peut produire des résultats rapides. Cet incident qui a duré un ou deux jours n’affecte pas la perspective de l'Ukraine d'abolition du régime de visas.Ecouter l'entretien ici

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