RFI: Jour de "Primaires" à Donetsk et Louhansk
Intervention dans la séquence "Bonjour l'Europe", sur RFI, le 02/10/2016Le référendum en Hongrie ne sera pas le seul scrutin controversé aujourd’hui. Les républiques populaires autoproclamées de Donetsk et Louhansk, ces territoires séparatistes dans l’est de l’Ukraine, tiennent aujourd’hui des “primaires”.Sébastien, qu’est-ce que ça veut dire, des primaires en territoires séparatistes? En premier lieu, ça veut dire beaucoup de bruit. Les autorités de Donetsk et Louhansk ont annoncé ces primaires en juillet dernier. Et depuis, elles multiplient les déclarations sur le processus de préparation. Ces primaires sont censées sélectionner des candidats à de futurs élections locales: mairies, cantons, districts. A Donetsk, il y a 1095 candidats qui sont officiellement en lice. A Louhansk, on en compte 234.Il y a eu campagne, conférences, tables rondes, processus de pré-sélection dans des centaines de localités… Les républiques ont accrédité plus d’une centaine de journalistes, et plus d’un millier d’observateurs, dont quelques dizaines d’observateurs internationaux, qui sont tous plus ou moins proches de mouvements identitaires et d’extrême-droite.Donc voilà, ce dimanche, Donetsk et Louhansk s’inscriront dans la mouvance internationale des primaires, qui sont, on le sait bien, directement inspirés du système politique américain. C’est quand même assez ironique, puisque ces entités se revendiquent farouchement anti-américaines. Même le mot pour désigner l'élection "Праймериз - Primaries" n'est pas un mot russe: il est directement importé de l'anglais. Déjà que des substituts de McDonalds avaient rouvert à Donetsk et Louhansk… Mais là, avec ces primaires, il semble que l’on en est plus à une contradiction près pour ces républiques anti-américaines.Quel impact cela va avoir dans ces républiques? Pour les exécutifs auto-proclamés, c’est là un signe de démocratie, et une étape de plus dans la construction de leurs Etats-nations. En fait, ça ne va pas changer grand chose, puisque les favoris semblent tous proches du pouvoir en place et de groupes politiques russes.Je ne suis plus accrédité auprès des républiques depuis début 2015, mais je me rappelle d’élections législatives en 2014: les votes étaient verrouillés à l’avance, toute opposition sérieuse empêchée de participer. Les électeurs étaient aussi “motivés” d’une manière ou d’une autre pour se rendre aux urnes. La participation aujourd’hui pose d’ailleurs question, mais il est assez probable que l’on n’obtienne jamais les chiffres réels de l’abstention.Pour la plupart des analystes, il s’agirait avant tout d’un coup de pub, de “créer le buzz”. C’est aussi une manière de cacher, ou de régler des dissensions internes, notamment à Louhansk. Là-bas, l’exécutif se remet à peine d’une tentative de coup d’Etat il y a quelques semaines. Le premier ministre avait été arrêté dans la foulée, et il avait été retrouvé mort dans sa cellule de prison… Donc, il y a des logiques internes à ces primaires. Mais c’est surtout un vrai pied de nez à Kiev.Oui, on comprend que les autorités ukrainiennes désapprouvent la tenue de ces primaires… Catégoriquement, même. Pour Kiev, ces primaires menacent l’organisation future d’élections locales, selon la législation électorale ukrainienne. De telles élections sont prévues par le processus de paix de Minsk, mais le Président Petro Porochenko en retarde la tenue depuis des mois car les conditions de sécurité ne sont pas réunies. Difficile d’imaginer que des candidats représentant les partis ukrainiens puissent concourir dans une région gouvernée par des milices de séparatistes…D’autant que la situation sur le front reste tendue, les échauffourées continuent, et ce, malgré des récents efforts diplomatiques de la part des Allemands et des Français.Dans ces conditions, ce que les primaires à Donetsk et Louhansk révèlent, c’est que les négociations sont au point mort, et que les territoires séparatistes d’une part, et ukrainiens d’autre part, suivent, encore et toujours, des trajectoires différentes, voire opposées.