Babi Yar: les mémoires de la Shoah par balles

On commémore aujourd’hui, le 29 septembre, le massacre de Babi Yar

Un des plus grands massacres de ce que l’on appelle la Shoah par balles en 1941

Il a disparu des mémoires pendant des décennies

et encore aujourd’hui il ne fait pas l’objet d’une mémoire consolidée et consensuelle entre différentes communautés.

Bonjour à tous c’est Sébastien, bienvenue dans cette vidéo où l’on fait un nouveau retour dans le passé douloureux de l’Ukraine et en particulier de sa communauté juive,

et des questions mémorielles que cela pose aujourd’hui.

———————————

Babi Yar, Babyn Yar dans sa forme ukrainienne, c’est d’abord un lieu, qui se traduit littéralement par le ravin de la grand-mère, de la vieille

un ravin qui était au nord de la ville de Kyiv jusqu’à ce que la ville grossisse

Aujourd’hui c’est presque en centre-ville.

Ensuite c’est une date. Les 28 et 29 septembre 1941, les Nazis qui venaient de conquérir la ville rassemblent les juifs de Kyiv et les emmènent au ravin pour les exécuter.

Hommes femmes et enfants.

Les Allemands sont aidés par des collaborateurs locaux.

Babi Yar c’est donc en troisième un nombre: 33.771 personnes liquidées en deux jours

on le sait car les Nazis gardaient des comptes très précis.

Babi Yar est donc l’un des plus importants massacres de la Shoah par balles, l’extermination des juifs d’Europe centrale et surtout orientale avec des moyens bien plus rudimentaires que les chambres à gaz.

Entre 1941 et la reconquête soviétique en 1944, on estime qu’entre 120 et 150.000 personnes, majoritairement juives, furent fusillées ici, leurs corps jetés dans le ravin.

Les Nazis brulent et enterrent les corps, remblaient le ravin

et quand les soviétiques arrivent, ils ne recherchent pas les preuves du massacres et enterrent, cette fois littéralement, la mémoire de Babi Yar.

Jusqu’en 1961, quand un glissement de terrain révèle des monceaux d’ossement au grand public.

La même année, le grand poète Evgueni Evtouchenko publie des vers lapidaires: “Sur Babi Yar, pas de monument / Un ravin abrupt, telle une dalle grossière / L’effroi me prend”.

Mais il faut attendre 1976 pour qu’un monument soit érigé “aux victimes soviétiques”.

Le régime ne fait alors aucune mention des morts juifs, en vertu d’une politique semi-antisémite et d’une négation des différences entre citoyens du régime communiste.

Dès 1991 et l’indépendance de l’Ukraine, la communauté juive brise la censure et inaugure une grande menorah, un chandelier à sept branches, en pierre.

C’est le point de départ d’une multiplication des monuments dédiés aux Roms, aux Ukrainiens, aux enfants, aux communistes ou encore aux membres du clergé.

On compte pas moins de 16 monuments à Babi Yar.

Babi Yar devient un lieu de compétition de mémoires communautaires que ni l’Etat ni diverses associations de familles de victimes et chercheurs ne semblent pouvoir associer dans un récit consensuel.

Pas moins de deux projets de construction d’un espace mémoriel permanent échouent.

Parmi les principaux points d’achoppement: un manque de volonté politique

et une résistance de la société post-soviétique à aborder tant cette douloureuse histoire que la question de la participation ukrainienne aux tueries.

Tout change en 2016, à l’occasion des 75 ans de la tragédie. Malmenée par sa révolution, l’annexion de la Crimée et la guerre dans ses régions orientales, l’Ukraine cherche à accroître sa légitimité internationale en s’inscrivant dans le récit historique européen de la Shoah.

Le président d’alors, Petro Porochenko, chapeaute la création du “Centre du Mémorial de l’Holocauste à Babi Yar” soutenu par d’importantes organisations juives, l’Etat d’Israël et de puissants mécènes ukrainiens et étrangers.

Néanmoins, les fondations du mémorial, un temps estimé à plus de 100 millions de dollars, ne sont pas encore posées en 2021.

Avant l’invasion, les portes-parole du Centre visaient le 85ème anniversaire, en 2026.

Au fil des années, on a assisté à la multiplication des expositions temporaires. Mais rien de permanent.

Et c’est particulièrement frappant que cela prenne autant de temps, en dehors du facteur de l’invasion qui a gelé le projet.

En comparaison, on est en train de construire à Kyiv une extension du mémorial dédié à l’Holodomor, la grande famine de 1932-33

Une tragédie nationale qui a fait l’objet de beaucoup de recherches et qui s’est installée comme un sujet de société, un épisode structurant du récit national.

Dans le cas de Babi Yar, on n’a pas ce consensus.

Ce qui ne veut pas dire que les historiens ne font pas leurs recherches ou que les milieux politiques font un blocage strict,

mais il y a une autre dynamique et clairement une question de priorité entre l’Holodomor et Babi Yar, pour ne parler que de ça.

En plus, il y a eu beaucoup de controverses autour du projet de mémorial.

D’abord au niveau du financement, parce que certains oligarques russes voulaient participer au projet

Cela a fait controverse avant, mais depuis 2022 ils sont bannis du projet, ça va presque sans dire.

Aussi, les différentes communautés concernées par le massacre de Babi Yar discutent pour savoir comment unifier les mémoires.

L’accent doit évidemment être mis sur les victimes majoritaires, les juifs.

Mais comment parler des autres victimes? les roms, les enfants, le clergé, les nationalistes, les communistes?

Et comment parler de la collaboration ukrainienne avec les Nazis, phénomène minoritaire, sans rentrer dans le discours soviétique et russe qui a diabolisé les Ukrainiens anti-communistes?

Il y a aussi eu un autre scandale: la nomination d’Ilia Khrjanovski, comme directeur artistique, Réalisateur mégalomane russe des films DAU,

on se rappelle cette exposition qui avait beaucoup fait parler d’elle à Paris en 2019.

Ilia Khrjanovski a proposé des méthodes innovantes pour créer un ensemble “immersif”.

Ce qui a suscité des critiques quant à la création d’un Disneyland de l’holocauste, où les visiteurs pourraient choisir leur rôle à l’entrée: Nazi, victime, collaborateur ou simple spectateur…

Babi Yar, c’est une épine dans le pied de l’Ukraine qui cherche à s’insérer dans le discours historique européen sur la seconde guerre mondiale et la Shoah.

Cela devient aussi un enjeu géopolitique, par exemple dans les relations avec Israël ou avec les différentes organisations internationales juives.

Un enjeu que Volodymyr Zelensky, lui-même d’origine juive, n’a pas réussi à surmonter.

Aujourd’hui à cause de l’invasion généralisée, tout cela est mis au second plan.

Mais nul doute que ce passé refera surface, tôt ou tard,

c’est pour cela que je voulais marquer cette date.

Merci!

Previous
Previous

La Géorgie à la dérive

Next
Next

Trump se paie Zelensky