LLB: La corruption en Ukraine, cette guerre parallèle
Article publié dans La Libre Belgique, le 23/01/2023
Des liasses de billets alignés sur une table devant les enquêteurs, un vice-ministre arrêté, ses complices recherchés… Ce type d’images qui ont émaillé les trois premières décennies d’indépendance de l’Ukraine avaient quelque peu disparu des journaux télévisés depuis l’invasion russe du 24 février. Volodymyr Zelensky, commandant et communicant en chef d’une nation engagée dans une lutte existentielle, s’était même avancé jusqu’à affirmer “qu’il n’y a plus de corruption en Ukraine”, dans un entretien à Bloomberg.
Difficile pourtant de résorber en quelques mois particulièrement troublés un problème structurel qui faisait encore de l’Ukraine le 122e pays sur 180 en termes de transparence, selon l’ONG Transparency international.
En ligne de mire, Vasyl Lozynkiy, ministre adjoint en charge du développement régional. Selon les enquêteurs du Bureau anti-corruption (NABU), celui-ci “a reçu 400 000 dollars pour faciliter la conclusion de contrats d'achat d'équipements et de générateurs à des prix gonflés”. Arrêté samedi, il est directement limogé par le Premier ministre.
Dans la foulée, le ministère de la Défense est pointé du doigt pour potentiellement avoir signé un contrat à un prix surévalué sur les produits alimentaires destinés à ses soldats. Le ministre Oleksiy Reznikov, en première ligne de la lutte contre l’envahisseur russe, dément. L’affaire fera l’objet d’un “audit interne” et passera devant une commission parlementaire.
Depuis le 24 février, des cas de contrebande, de malversations ou encore de revente d’aide humanitaire perdurent bel et bien. Le quotidien anglophone The Kyiv Independent a encore récemment consacré une longue enquête à des détournements d’armes légères par les officiers de la Légion étrangère, composée de volontaires internationaux. Ces affaires, très localisées, sont traitées au cas par cas et sont publiées et relayées par nombre de médias ukrainiens. Malgré la loi martiale, la majorité de ceux-ci ont globalement conservé une liberté et une tradition d’investigation appréciables - au contraire de leurs homologues russes.
Mais les abus de pouvoir à grande échelle dans le domaine des infrastructures à l’heure où le pays souffre de graves pénuries d’énergie, ou encore dans le secteur militaire en dépit de la mobilisation nationale, cela ne passe pas.
De quoi pousser Volodymyr Zelensky à revenir à son premier rôle de pourfendeur de la corruption, celui pour lequel son personnage de série télévisée était si populaire et pour lequel il a été élu président en 2019. “Je veux être clair: un retour aux pratiques du passé ne sera aucunement toléré”, déclare-t-il dimanche. Et de promettre des “mesures fortes”, dont il n’a pas encore précisé le contenu.
L’enjeu est de taille pour le président, personnalité généralement reconnue comme intègre. Il doit assurer la cohésion de sa société afin de soutenir l’effort de guerre, mais aussi donner des gages à ses partenaires internationaux dont le soutien financier est vital. “Toute forme de corruption aujourd’hui, c’est du vol de l’argent occidental”, résume Vitaliy Shabounine, un militant anti-corruption de longue date. Sans oublier le processus de négociations d’adhésion à l’Union européenne, que Kiev espère entamer dans un futur proche.
Timofiy Milovanov, ancien ministre de l’économie, analyse néanmoins les deux scandales sous un jour positif. Fin expert de ces questions, il se réjouit que Vasyl Lozynkiy a été limogé sans tergiverser, ou encore que le Parlement se saisisse instantanément des soupçons de marché public “gonflé” au ministère de la Défense. “Cela montre que la corruption est épisodique, mais que la réponse de l’Etat est systémique.” Peut-être un signe que, dans l’urgence militaire, le gouvernement et la société civile entendent bien gagner cette guerre parallèle.