Edito LLB: De la méfiance d’un cessez-le-feu

Edito publié dans La Libre Belgique, le 31/03/2022

Dans les multiples scénarios avancés par les négociateurs, diplomates, experts et observateurs, peu insistent sur un retrait complet des troupes russes et un retour aux lignes de démarcation du 24 mars à 4h59 heure de Kiev, avant que la Russie ne lance son invasion. Et personne ne se hasarde à exiger un retour aux frontières internationalement reconnues de 2014. Il semble communément admis que l’Ukraine, victime résistante, doit concéder des "sacrifices" afin d’atteindre un "compromis" permettant de mettre un terme au bain de sang.

Il est vrai que l’on ne peut qu’espérer que les armes se taisent et que s’amorce un processus politique de résolution du conWit. Mais les trente dernières années nous enseignent qu’un simple cessez-le-feu ne résoudra rien. D’une part, parce que les Russes ont transformé les lignes de front de Transnistrie, d’Abkhazie, d’Ossétie du sud et du Donbass en frontières de facto et n’ont jamais retiré leurs troupes de ces territoires. D’autre part, parce que décréter un cessez-le-feu n’implique en rien un arrêt des combats, comme l’ont prouvé les échauffourées meurtrières qui ont endeuillé l’est de l’Ukraine à partir de 2015. Et quand bien même les canons se tairaient, la violence ne cesserait pas, à travers la persécution des populations vivant sous occupation. En témoignent la féroce répression qui s’est abattue sur les maires ukrainiens de villes conquises, ou encore sur les Tatars de Crimée depuis 2014. La majorité des millions de personnes qui ont fui leurs maisons ces six dernières semaines ne reviendront pas chez elles, perpétuant une crise humanitaire majeure.

Enfin, Vladimir Poutine a démontré qu’il ne livre rien de moins qu’une guerre existentielle à l’Ukraine, dont il ne reconnaît pas le droit à l’indépendance. Aussi, une trêve ne serait qu’une parenthèse aSn de consolider ses positions avant une prochaine intervention qui ne manquera pas d’arriver dans cinq, dix ou quinze ans. Une durée pendant laquelle le Kremlin entretiendra l’illusion d’une stabilité recouvrée pour donner des gages de bonne volonté et chercher à diviser les Occidentaux. Certains sont déjà tentés de renouer des liens économiques avec la Russie. Là encore, c’est l’histoire qui nous l’apprend. A partir de 2014, l’Allemagne, pour ne citer qu’elle, n’a pas reconnu les gains territoriaux russes en Ukraine et maintenu un régime de sanctions tout en se portant garante du processus de paix de Minsk. Dans le même temps, elle a intensiSé ses échanges commerciaux avec la Russie et accru sa dépendance énergétique en lançant la construction du gazoduc Nord Stream II. On connaît les résultats de cette politique aujourd’hui.

On peut se conforter en se disant qu’aujourd’hui la prise de conscience est réelle : nous avons compris la vraie nature du régime poutiniste. Mais il est aussi essentiel de se rappeler que ce régime exploite nos vulnérabilités dans le temps long. Aujourd’hui, mais encore plus demain, il faut assumer la cohérence de nos décisions et soutenir les Ukrainiens politiquement, Snancièrement et logistiquement pour leur donner une chance de négocier la meilleure paix possible. C’est par leur résistance que passe le futur de la sécurité européenne, et non par un cessez-le-feu négocié dans l’urgence.

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