RFI: Kiev-Vienne, le nouveau train d’un retour vers l’Europe

Reportage diffusé dans l’émission Accents d’Europe, sur RFI, le 21/12/2017

Depuis la Révolution de 2014, l’Ukraine multiplie les gestes de rapprochement avec l’Europe En juin, la libéralisation du régime de visas Schengen pour les Ukrainiens a été une grande étape. Elle a des répercussions dans les transports. Le 10 décembre, la compagne nationale de chemin de fer a lancé des nouvelles lignes à partir de Kiev, à destination de villes européennes. Tout un symbole. Sébastien Gobert a testé pour nous le train entre Kiev et Vienne. C’est plus de 23h de route dans un train-couchette.

14h07, heure de Kiev. Le train s’ébranle. Lentement, très lentement. Le contrôleur Hryhoriy Fayshenko garde la porte du wagon ouverte pendant de longues minutes avant que le train ne prenne de la vitesse.

Il n’y a pas vraiment de raison de se presser. Enfermés dans notre wagon couchette, il nous faudra plus de 23h pour desservir des dizaines de villes. Parmi les plus importantes: Lviv, à l’ouest de l’Ukraine, Chop à la frontière hongroise, Budapest, et enfin Vienne, à 1300 kilomètres d’ici.

Inna Tsymbaluk: C’est la première fois que je vais à Vienne. J’avais travaillé sur quelques trajets internationaux, mais jamais pour Vienne. 

Inna Tsymbaluk est l’hôtesse en charge du wagon.

Inna Tsymbaluk: C’est intéressant, ces trajets. Les passagers sont toujours plus calmes que sur d’autres lignes, plus raffinés, plus polis, plus reconnaissants aussi.

Ce 11 décembre, nous sommes quatre passagers à avoir un billet pour Vienne. La correspondance a été inaugurée la veille, le 10, en même temps que d’autres itinéraires vers Bucarest, Bratislava, ou encore Prague. C’est la première fois en dix ans que la capitale ukrainienne est reliée à autant de villes européennes.

Oleksandr Krasnoshtan: Il y a une demande croissante pour ces trains. En particulier après la libéralisation du régime de visas Schengen.

Avant le départ, à Kiev, nous avions rencontré Oleksandr Krasnochtan, vice-directeur du département du transport étranger pour la compagnie nationale des chemins de fer, Ukrzaliznytsia.

Oleksandr Krasnoshtan: C’est un choix de civilisation, qui permet à nos citoyens d’aller en Europe. Grâce à ces trains, l’Ukraine se rapproche de l’Europe. C’est très important.

Une fois le train lancé, on se rend vite compte que le trajet sera long. Ce n’est pas l’Orient Express, il n’y a pas de wagon restaurant ni même de buffet. Inna Tsymbaluk peut offrir du thé, du café, et des bouteilles d’eau. On peut très vite se sentir à l’étroit dans les compartiments quand les trois couchettes sont dépliées.

Un des passagers, Saïd Moukim, se réjouit au contraire du charme du voyage.

Said Moukim: Je n’ai pas l’impression que c’est très long. Par l’autobus, ce serait la même durée. Et c’est plus confortable que le bus, on peut s’allonger, se mettre à l’aise. Et puis, comparé aux prix pratiqués en Union Européenne, ce billet est très abordable.

Un billet Kiev – Vienne coûte environ 80 euros. Une somme modique par rapport à l’avion et la voiture. Et, par rapport au bus, c’est une assurance de confort et de ponctualité.

Après 6 heures de route, nous arrivons à Lviv. De nouveaux passagers embarquent. Et tout de suite, des mécaniciens  s’activent sur notre wagon.

Le contrôleur Hryhoriy Fayshenko.

Hryhoriy Fayshenko: Là, nous sommes arrêtés en gare. Notre wagon est détaché du reste du train qui va partir dans une autre direction. Nous allons être rattaché à un autre, et continuer notre route dans une heure.

Lviv, à l’ouest de l’Ukraine, c’est l’ancienne Lemberg, longtemps à l’est de l’empire d’Autriche-Hongrie. Au début du 20ème siècle, un train reliait directement la ville à Vienne, et un autre à Venise. La période soviétique avait rompu ces liens ancestraux. Pour les habitants, cette nouvelle correspondance est donc une bonne nouvelle d’un retour vers l’ouest.

Oleksandr Krasnochtan explique qu’il n’en est qu’au début.

Oleksandr Krasnoshtan: Nous avons des plans très ambitieux pour développer nos services vers des destinations européennes. Nous voulons aller à Berlin, bien sûr. Et nous visons aussi les Etats baltes. A travers la Biélorussie, nous pourrions desservir 4 capitales: Kiev, Minsk, Vilnius, et Riga.

Signe des temps modernes, la compagnie ferroviaire se livre à une restructuration en profondeur de son fonctionnement, pour aller vers plus d’efficacité et de rentabilité. Certaines lignes intérieures sont modifiées, voire suspendues, au grand désarroi des usagers. Et dans le contexte actuel de guerre hybride avec Moscou, il y a des correspondances qui ne sont pas prêtes d’être développées.

Oleksandr Krasnoshtan: La demande pour les liaisons entre la Russie et l’Ukraine a chuté ces dernières années. Il n’y a plus de besoin. Donc nous ne prévoyons pas de nouveaux itinéraires.

Lire aussi: Ukrzaliznytsia modifie deux lignes de train vitales pour l’oblast de Louhansk (Radio Svoboda)

Quand nous repartons de Lviv, nous nous enfonçons dans une nuit noire et froide. Une douce chaleur s’installe dans les compartiments, et on se laisse bercer. Jusqu’à 1h37 du matin, et l’arrivée à Tchop, la ville-frontière.

Il faut alors préparer les passeports pour les contrôles d’identité et de douane.

A Tchop, des mécaniciens s’affairent de nouveau sur le wagon. Pour des raisons historiques, l’écartement des voies est de 1520 millimètres sur le réseau ferroviaire post-soviétique, et de 1435 millimètres en Europe. Il faut donc adapter l’écartement des roues. Hryhoriy Fayshenko.

Hryhoriy Fayshenko: Là vous voyez, ils ont placé le wagon sur un monte-charge, ils l’ont soulevé, et ils changent l’écartement des roues. C’est une procédure habituelle, ça ne prend pas trop longtemps. Et après, hop, on peut filer à travers l’Europe! 

En effet, nous repartons très vite, pour franchir la rivière Tysa, jusqu’au poste-frontière hongrois. Ici, les gardes-frontières se montrent bien plus pointilleux.

Les Hongrois posent beaucoup de questions, dévissent quelques parois de compartiments pour vérifier s’il n’y a pas de colis de contrebande.

Deux citoyens italiens doivent quitter le train parce qu’ils ont un excédent de cigarettes. Un autre passager se dit Kurde. Il y aurait une irrégularité sur son passeport.

Nous repartons sans ces passagers. Grigoriy Fayshenko explique que cela arrive très souvent.

Hryhoriy Fayshenko: Beaucoup de gens ne sont pas au courant des règles de passage de frontière. Alors ils prennent trop de cigarettes, ou d’alcool, pas chers en Ukraine. Ou alors ils tentent le coup avec des faux documents d’identité… On “perd” des passagers à la frontière très souvent. 

Lentement, le train poursuit sa route à travers la Hongrie de l’est, déjà l’Union européenne. Le plus dur est fait. Mais au réveil, le lendemain matin, l’hôtesse Inna Tsymbaluk a encore une nouvelle à annoncer.

Inna Tsymbaluk: Notre chauffeur nous a avertit à Budapest qu’il y avait un problème électrique sur la ligne en Autriche. Nous avons une heure et demie de retard. 

Nous n’en sommes plus à deux heures près, et nous recommandons un thé noir en lisant un livre. Dans son compartiment, Saïd Moukim commence pourtant à trépigner.

Said Moukim: Ca a été, mais pour être honnête, je trouve le temps un peu long. S’il y avait le wifi, ou une possibilité de surfer sur mon smartphone, ça serait passé plus vite. Mais je ne veux pas me plaindre, ça a été. 

En filant plein ouest, le train remonte le bassin du Danube de Budapest à Vienne. Vu du compartiment, les différences d’infrastructure et d’aménagement du territoire frappent, comparé à l’Ukraine. Sur la ligne d’horizon, des éoliennes apparaissent – un paysage peu fréquent dans l’espace post-soviétique.

Soudain, tout se précipite. Il faut plier ses draps, ranger son matelas et ramasser ses affaires. Le train arrive à Vienne. Pour Grigoriy et Inna, pas le temps d’aller visiter l’ancienne capitale des Habsbourg.

Hryhoriy Fayshenko: Nous devons tout de suite préparer le wagon pour le voyage de retour. Nous repartons aujourd’hui, dans 4 heures. 

Le sac à dos sur les épaules, on descend gaiement du marchepied, non sans remercier nos hôtes. Plus que l’air frais, c’est la modernité et l’activité de la HauptBahnhof, la gare centrale de Vienne, qui surprend, après tant d’heures passées à l’intérieur. Le voyage dans le train fait l’effet d’un sas, d’une capsule, qui lie sans transition les deux univers parallèles de Kiev et de Vienne, de l’Ukraine post-soviétique et de l’Autriche européenne. Un lien certes lent, mais désormais, direct.

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