TDG: Dans le Donbass, la ville qui s’appelle New York
Reportage publié dans La Tribune de Genève, le 22/12/2017
Dans l’est de l’Ukraine, la petite ville de Novhorodske veut retrouver son nom historique. En espérant que cela lui portera chance.
«Ça en fait sourire plus d’un, notre projet… Vous vous imaginez? Un New York dans la zone de guerre!» Tetiana Krasko plonge un sucre dans son thé avec un sourire entendu. La secrétaire de la petite ville de Novhorodske, à 7 kilomètres de la ligne de front du Donbass, est bien consciente de son effet comique. Il n’empêche que le projet de rendre à cette localité de quelque 12 000 habitants son nom historique de New York est très sérieux. «Ça peut nous offrir un nouveau souffle. Nous en avons bien besoin.» La ville a été fondée dans la seconde moitié du XVIIIe siècle par des Mennonites, des colons allemands invités par le tsar de Russie pour développer des régions nouvellement conquises. Pourquoi le nom de New York? Les légendes sont nombreuses. Certaines évoquent une ancienne tradition allemande. D’autres assurent qu’un des maires du village avait une amoureuse dans la «Grande Pomme» américaine. Le seul fait établi, c’est que le pouvoir soviétique a évacué les habitants allemands après la Seconde Guerre mondiale et a changé le nom de la ville, en 1951. Novhorodske est la translitération slave de New York.
Dans la vague de changements de nom requis par les lois dites de «décommunisation» de 2015, le Conseil municipal valide le retour à New York. Les autorités régionales et nationales ne l’ont pas encore acté, à cause, entre autres, du statut spécial qui échoie aux villes situées dans la zone de guerre. Mais en ville, New York serait déjà dans les esprits. «Notre projet de changement de nom a incité les habitants à faire des recherches sur notre passé», explique Tetiana Krasko. Elle exhibe fièrement une collection de tuiles estampillées New York, témoin de productions locales d’un ancien temps. «Il y avait ici des manufactures de qualité et des industries de pointe, que l’on ne trouvait pas dans le reste de l’empire russe», assure-t-elle.
Un prestige qui s’est étiolé avec le temps. La plupart des usines ont mis la clé sous la porte. Aujourd’hui, Novhorodske est une de ces communes typiques du Donbass, aux façades décrépies et à la population vieillissante. Les rues, creusées de nids-de-poule, sont parcourues de soldats sur leur chemin vers le front. La guerre qui déchire l’est de l’Ukraine depuis le printemps 2014 a causé la mort d’au moins 10 100 personnes. Elle n’a pas épargné Novhorodske. À côté de sa collection de tuiles, Tetiana Krasko a disposé des douilles de balles et des débris d’obus, tombés sur la commune. «Bien sûr, notre situation n’est pas la plus enviable», admet-elle. Mais elle veut déjà voir plus loin que cela.
«Nous pouvons devenir une curiosité touristique, être un avant-poste de notre nouvelle Ukraine… Nous pouvons rafraîchir l’image de la région», explique la secrétaire avec enthousiasme. Et si, à défaut de mieux, New York devenait aussi une protection contre la guerre? «Vous vous imaginez l’effet que cela aurait dans les médias? On a bombardé New York! Avant de savoir si on parle de la métropole ou de notre petite ville, ce serait un scandale! Ils devraient réfléchir à deux fois avant de nous tirer dessus!»