RFI: L’Ukraine (décentralisée) qui marche

Reportage diffusé dans l’émission Accents d’Europe, sur RFI, le 10/01/2018

La Révolution de 2014 en Ukraine visait à entamer des changements en profondeur en Ukraine, à moderniser l’Etat, à lutter contre la corruption, et à lutter efficacement contre la corruption. 4 ans plus tard, les Ukrainiens se disent déçus par le manque de progrès, en particulier dans la lutte contre la corruption et la réforme du système judiciaire. Pourtant, l’Ukraine change. Pour ce pays agricole, très étendu, la réforme de la décentralisation porte déjà ses fruits. Des dizaines de communautés rurales ont plus de pouvoirs, et des budgets locaux renforcés. Sébastien Gobert s’est rendu dans la localité de Novopskov, dans l’est de l’Ukraine, entre la zone de guerre et la frontière russe. Elle connait des transformations conséquentes.

Un nouveau local à poubelles à Novopskov

Vadim Gaev: Regardez cette aire de jeu pour les enfants, c’est nouveau. Et oh! Regardez, ça aussi, nous venons de l’installer. 

Dans la rue, un local à poubelle.

Vadim Gaev: Et là on veut organiser du recyclage. trier le plastique, trier le les déchets organiques, etc. 

Des bennes aussi modernes, sur roulettes, abritées par un petit toit, on en trouve rarement dans les zones rurales d’Ukraine. Vadim Gaev est le maire de Novopskov. Il a des plans ambitieux, qui ne s’arrêtent pas aux poubelles.

Vadim Gaev: Et là, vous voyez cette route, nous venons de poser l’asphalte. Avant, c’était un chemin de boue. 

En 2015, Novopskov a été la première localité en Ukraine à monter dans le train de la décentralisation, en formant une “Hromada”, une communauté de communes rassemblant Novopskov et les villages environnants. Les 12400 habitants de la communauté, en zone rurale, à 20 kilomètres de la frontière russe, ont tout de suite vu la différence. Le budget local était de 7 millions de hryvnias par an. Il est aujourd’hui presque 10 fois plus élevé, à 66 millions de hryvnias! De quoi financer des projets tout azimut.

Vadim Gaev: Là, vous voyez, nous construisons ce centre de la communauté. Ca sera moderne, et ça va simplifier la vie. Le centre va regrouper les services administratifs, culturels et associatifs. Nous refaisons la salle des fêtes, et un espace pour des conférences, des séminaires… 

Futur centre administratif à Novopskov

A Novopskov, tout change. Les crèches, les écoles, l’éclairage public, les centres médicaux, les routes…

Et dans le contexte de la décentralisation entamée en 2015, ce n’est pas un cas isolé.

Yarina Jourba: On entend souvent dans les communautés de communes qu’ils ont accompli plus en 2 ans que pendant les 30 ans d’avant. 

A Kiev, Yarina Jourba est une des spécialistes les plus pointues sur le sujet.

Yarina Jourba: Avant, tout l’argent des collectivités territoriales d’Ukraine remontait à l’Etat central. Et le gouvernement redistribuait en fonction des estimations des dépenses de chacun. Cela couvrait à peine les besoins des collectivités locales. Prenez cela pour l’éducation, pour la santé… et ça devait suffire. Les collectivités locales n’étaient pas poussées à améliorer leurs résultats. 

Désormais, les fonds dégagés par la communauté restent sur place, et c’est le conseil municipal qui décide directement de leur allocation.

Le petit bâtiment de la  Novopskov est une véritable fourmilière, pleine d’employés affairés dans les couloirs.

Tetiana Tchervenko: C’est toujours comme ça ici. Nous n’avons pas le choix, il nous faut des résultats! Donc c’est un peu la course, dans nos bureaux. Avant la décentralisation, tout était beaucoup plus calme ici, on travaillait à minima. Maintenant, nous avons recruté des nouveaux employés, des gens compétents, et nous avons retroussé nos manches. 

Tetiana Tchervenko est l’une de celle qui fait souffler le vent du changement. Et le rôle que Novopskov joue en Ukraine est une source de fierté.

Tetiana Tchervenko: Nous avons été les premiers en Ukraine à unir une communauté de communes. On nous a considéré comme une expérience scientifique, beaucoup ne comprenaient pas ce que nous faisions à l’époque. Maintenant d’autres communautés nous regardent pour savoir comment il faut faire, et quelles peuvent être les prochaines étapes. Une des leçons, c’est qu’il faut agir vite pour que ça soit efficace. 

Tous les regards ne se tournent pas qu’en direction de l’administration municipale. Le processus de décentralisation amène les habitants eux-mêmes à repenser leur place dans la ville.

Vadim Gaev: Avant, les gens ne faisaient qu’attendre que quelqu’un résolve leurs problèmes, prenne des décisions pour eux, et en endosse la responsabilité. Aujourd’hui, les habitants commencent à agir par eux-mêmes. C’est lent, car il faut vraiment expliquer les changements en cours et l’intérêt du processus. Mais on voit déjà que beaucoup comprennent que quelque chose se passe, et qu’ils peuvent améliorer leurs conditions de vie. 

Et pour preuve, il nous emmène voir… un bout de trottoir. Le fils de la famille Koulyk est invalide, et il était auparavant très difficile de sortir son fauteuil roulant de l’immeuble. Aujourd’hui, il glisse sur un nouveau carré de bitume tout lisse. Ce sont les parents Koulyk qui ont pris l’initiative des travaux. La mère, Oksana.

Oksana Koulyk: J’ai vu sur le site de la communauté qu’il y avait une possibilité de soumettre des projets, et j’ai rédigé le mien. Et les travaux ont commencé au bout d’un moment. La communauté considère toutes nos demandes, et nos requêtes, et assiste les habitants. Et nous avons aussi aidé à la réalisation du projet: il a fallu encadrer les travaux, préparer le terrain, emporter la terre dont nous n’avions plus besoin. Nous nous sommes beaucoup impliqués. 

Novopskov est en ébullition, et entend le rester pour longtemps. La communauté a adopté une stratégie de développement jusqu’en 2020, qui doit en faire un centre de tourisme et attirer de nouvelles activités économiques. Ce qui n’empêche pas que Vadim Gaev rencontre des défis au quotidien.

Vadim Gaev: Bien sûr, nous avons une tonne de problèmes. Notre principale difficulté, c’est le manque de personnel qualifié. Beaucoup de nos habitants quittent le village, pour les villes ou pour l’étranger, pour se faire une vie ailleurs. 

L’exode rural affecte Novopskov, mais aussi de nombreuses localités en Ukraine. Dans ce grand pays agraire, ce phénomène est souvent vécu comme une tragédie. La décentralisation pourrait ralentir, si ce n’est inverser, la tendance; en donnant aux habitants des raisons de rester, et d’imaginer leur vie dans des petites villes, où il ferait bon vivre.

Ecouter le reportage ici

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