TDG: Le patriarcat orthodoxe de Moscou donne de la voix dans les rues de Kiev
Version longue d'un article publié dans La Tribune de Genève, le 27/07/2016. Photos de Niels Ackermann / Lundi 13“En ce lieu saint, nous nous rappelons le baptême de Kiev, pierre d’angle de notre histoire. La paix et l’unité doivent continuer de régner sur nos terres chrétiennes”. Au pied de la statue de St Volodymyr, surplombant le fleuve Dnipro, la voix du Métropolite Onuphre, représentant du patriarcat orthodoxe de Moscou en Ukraine, accompagne les chants et prières de milliers de pèlerins.Brandissant leurs icônes bien haut, les robes longues, le front perlé de sueur sous leurs voiles, quelques femmes âgées ne peuvent retenir leurs sanglots. La journée de célébration à Kiev est la consécration d’une longue marche éprouvante, et controversée. La veille, en banlieue de Kiev, des pèlerins s’étaient fait accueillir avec des oeufs, des slogans nationalistes, et des insultes. “Si vous voulez vraiment prier pour la paix, allez directement à Moscou”, leur avait-on crié.
Pour la chef de la police nationale, Khatia Dekanoidze, il valait mieux prévenir que guérir. C’est donc encadrés par un dispositif de sécurité inédit, mobilisant plus de 6000 policiers, que se sont déroulés les célébrations religieuses. Pèlerins, membres du clergé et visiteurs ont du se plier à des contrôles renforcés, notamment à travers des détecteurs de métaux. Aucune échauffourée n’a été signalée, pas même pendant la procession finale jusqu’à la Lavra de Pechersk.Les pèlerins étaient aux alentours de 10.000 selon la police, entre 60.000 et 80.000 selon les organisateurs, entre 20.000 et 30.000 selon des observateurs indépendants. Seuls 6 d’entre eux ont été appréhendé par les forces de l’ordre, alors qu’ils scandaient que “Le Donbass, c’est le Monde Russe!” aux abords de la procession. “Ils se relaxent dans l’un de nos postes de police”, a commenté le ministre de l’intérieur Arsen Avakov sur son mur Facebook dans la soirée du 27. Tout en se gargarisant que tout soit fini, et qu’il ne “laissera jamais s’installer le monde russe” à Kiev.“Cette marche a été utilisée avec succès comme une manifestation de ‘soft power’”, nuance le politologue Serhiy Gadaï. Celui-ci y voit l’affirmation de forces politiques alternatives à l’establishement de Kiev. Les dirigeants du “Bloc d’Opposition”, héritier du défunt Parti des Régions du président déchu, le très russophile et corrompu Viktor Ianoukovitch, se sont ainsi improvisés mécènes des processions, et invités d’honneur des célébrations.Un tel déploiement de fidèles et de soutiens ne dissimule néanmoins pas la “position précaire” du patriarcat de Moscou en Ukraine, comme l’explique le théologien Ihor Semivolos. “Dans le nouvel ordre social et politique, il reste peu d’espace pour les Orthodoxes de Moscou. Leur rôle spirituel se résume à l’incarnation de l’idée de ‘monde russe’, qui est aujourd’hui combattue par une majorité de la population”.De nombreux membres du clergé ont été accusés de complicité avec les forces russes et pro-russes, en Crimée et dans le Donbass. En réaction, de le patriarcat a été destitué de nombreuses paroisses à travers le pays, dans certains cas par la force. Il s’est aussi annihilé l’adhésion d’une partie de la population ukrainienne. “La preuve étant que les processions ont été bien moins accueillie dans les villes traversées que ce que le clergé de Moscou escomptait”, remarque le sociologue Oleh Pokalchuk.En plus de ces méfiances populaires, les Eglises concurrentes, notamment le Patriarcat de Kiev et les Gréco-Catholiques, soulèvent régulièrement des contentieux historiques, comme la complicité des Orthodoxes de Moscou avec les Soviétiques anti-cléricaux, ou encore le transfert de certains trésors religieux en Russie.A ce titre, les demandes se font de plus en plus pressantes auprès du gouvernement pour retirer les trois Lavra des mains du Patriarcat de Moscou, et les transférer à celui de Kiev. Certaines rumeurs font aussi état de la possible création d’une Eglise orthodoxe ukrainienne unie, qui déposséderait de fait Moscou de ses paroisses ukrainiennes. Pour le patriarcat, il s’agirait là d’une atteinte inacceptable à la liberté de culte en Ukraine. Ces perspectives d’affrontements restent hypothétiques. Nul doute cependant que la “marche de la paix” a servi de démonstration de force pour le patriarcat de Moscou, voire d’avertissement.