LLB: La Grande famine d’Ukraine et ses multiples polémiques

Article publié dans La Libre Belgique, le 29/11/2022

L’Allemagne pourrait reconnaître, ce 30 novembre, l’Holodomor comme “génocide”. Mais la question n’en finit pas de susciter le débat.

Alors que de nombreuses villes ukrainiennes étaient plongées dans le noir en raison de coupures de courant, les bougies allumées aux fenêtres ce samedi soir étaient bien visibles, largement relayées sur les réseaux sociaux. Confrontée à une guerre existentielle menée par la Russie, l’Ukraine a commémoré, comme chaque quatrième samedi de novembre, les victimes de l’Holodomor, la Grande famine.

En 1932-1933, la politique de collectivisation et de lutte contre les koulaks (paysans relativement aisés) décidée par Staline avait mené à une désorganisation de la production agricole et à de dramatiques pénuries de denrées alimentaires. Un phénomène aggravé par des restrictions, confiscations et répressions orchestrées par la police politique. Plus de six millions de personnes y avaient perdu la vie, dont environ 4 millions en Ukraine. Et ce, à une époque où l’URSS exportait des céréales à l’étranger.

Grâce à la libération de la parole des survivants après la chute de l’URSS en 1991 et de l’ouverture des archives soviétiques, la connaissance sur ce drame s’est affinée ces trente dernières années, de même que son caractère intentionnel. Néanmoins, l’épineuse question de la classification de ce crime reste un sujet d’une controverse académique et politique.

Depuis 2006, la Grande famine est reconnue en Ukraine comme un génocide contre la nation ukrainienne. Kiev est en cela épaulée par un groupe de pays principalement répartis entre l’Europe centrale, l’Amérique du nord et du sud, dont les Parlements ont reconnu l’Holodomor comme un génocide. En tout, 21 pays ont franchi le pas, ce qui inclut la Roumanie, l’Irlande et la Moldavie entre le 23 et le 25 novembre dernier. Ce 30 novembre, c’est le Bundestag allemand qui pourrait officialiser ce qualificatif.

Pour l’historien Timothy Snyder ou la journaliste lauréate du prix Pulitzer Anne Applebaum, la nature génocidaire de l’Holodomor ne fait aucun doute. Staline cherchait explicitement à anéantir la nation ukrainienne et ses traditions agraires ancestrales. En revanche, l’historien britannique Robert Davies n’identifie aucune intention d’annihiler les Ukrainiens en particulier. En revanche, il établit que la politique soviétique avait volontairement mené à une famine de grande ampleur en Ukraine et dans d’autres républiques soviétiques. Les Kazakhs avaient notamment connu de telles pertes humaines suite aux privations sont ainsi devenus une minorité dans leur république soviétique éponyme. Sans s’aventurer sur la question du génocide, le professeur Michael Ellman dénonce, lui, la famine comme un crime contre l’humanité.

Quels qu’en soient ses fondements académiques, la polémique trouve un écho particulier à l’heure de l’invasion russe - Vladimir Poutine ayant clairement exprimé sa négation d’une quelconque souveraineté ukrainienne. Nombreux sont ceux, en Ukraine et ailleurs, qui veulent voir dans les combats et destructions, dans les massacres, viols, et tortures ou encore dans les déportations de populations civils, enfants inclus, la perpétuation de la politique génocidaire russe vis-à-vis des Ukrainiens.

Ce samedi soir, Volodymyr Zelensky dénonçait ainsi “les mêmes tactiques génocidaires” que l’URSS pendant la Grande famine. Loin de faire consensus, ce parallèle pourrait relancer de vives discussions dans des pays qui n’ont pas encore statué sur le qualificatif de l’Holodomor.

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