RFI: L'avionneur Antonov cloué au sol

Reportage diffusé dans l'émission Accents d'Europe, le 19/12/2014Qui ne connaît pas la compagnie Antonov, le célèbre constructeur de ces avions, caractérisés par leurs nez qui s’ouvrent? L’ancienne perle de l’industrie aéronautique soviétique, fondée en 1946, a produit parmi les meilleurs avions transporteurs du monde, que ce soient des modèles très légers ou l’avion le plus lourd du monde, l’AN-225. La compagnie avait accusé avec difficulté la dislocation de l’URSS, mais elle avait survécu. Mais le récent conflit ukraino-russe pourrait lui être fatal. Coupée du marché russe, l’entreprise Antonov est pour ainsi dire clouée au sol… 
Sur une banderole bien en vue dans un hangar géant, le slogan se veut plus que volontariste: “AN-178, ce sera la victoire de notre labeur!”. Malgré les échos d’un ancien temps, c’est sur le prototype du tout nouveau-né de l’entreprise Antonov que s’affairent des dizaines d’ouvriers. Couvrant le vacarme des travaux, l’ingénieur et directeur de projet Victor Kazurov ne cache pas sa fierté en présentant le nouvel avion.Victor Kazurov: C’est un nouveau type d’avion porteur, qui doit prendre sa place parmi les meilleurs sur le marché. Dans ce nouveau modèle AN-178, le plus important, c’est le nouveau module de transport,  mais en général, de nombreux éléments de cet avion proviennent des modèles précédents de la famille Antonov, pratiquement sans aucune modification. Vous savez que la firme Antonov est l’un des leaders mondiaux dans la conception et la construction de transporteurs aériens de marchandises. Tout le monde connaît l’AN-12, l’AN-22, l’AN-24 “Ruslan”, l’AN-225 “Mryia”… Ce sont des avions homologués, qui peuvent voler à travers le monde entier.Mais pour l’instant, Antonov ne va construire qu’un seul modèle d’appareil AN-178. Manque d’argent, manque de temps, mais surtout, manque de clients. Héritage de l’époque soviétique, la Russie était partenaire dans la production et un débouché essentiel pour Antonov. Depuis quelques mois, le constructeur aéronautique, entreprise d’Etat ukrainienne, est donc devenu une victime collatérale de la guerre non-déclarée que se livrent deux frères ennemis, comme l’explique un des avocats d’Antonov, Roman Marchenko.Roman Marchenko: Les types d’avions les plus intéressants à l’heure actuelle sont l’AN-140 et l’AN-148. Ces deux appareils sont produits en Russie et en Ukraine. Et la Russie a suffisamment d’argent pour assurer  seule la production. Avant l’occupation de la Crimée, le projet était donc plutôt intéressant. Mais bien évidemment, presque toute la coopération est suspendue. En termes de production, le partenariat ne se faisait pas seulement avec le secteur privé russe, mais aussi avec l’Etat fédéral. Donc l’entreprise d’Etat ukrainienne Antonov n’avait d’autre choix que de cesser  sa coopération avec Moscou. Alors que,  pour des raisons assez évidentes, la Russie était le marché le plus important pour Antonov…Dans les bureaux d’Antonov, le directeur général Dmytro Kiva tempère ce constat.Dmytro Kiva: Cela fait longtemps que l’on s’est diversifiés avec des partenaires étrangers, de Pologne, de Chine, d’Inde. Si nous prenons les chiffres des deux dernières années, le partenariat avec la Fédération de Russie ne représentait que 7-9% de notre chiffre d’affaire. Donc pour nous, ce n’est pas critique. C’est une difficulté, c’est sûr, mais ce n’est pas cela qui va nous tuer.Le directeur général s’affiche comme un optimiste. Il admet que la plupart des revenus de l’entreprise viennent de la location de sa flotte à des compagnies aériennes, et non des constructions prestigieuses d’autrefois. Mais il veut croire que ses avions sont compétitifs et intéressants pour de nombreux clients. Et sous la forme d’une plaisanterie déguisée, il estime que la rupture avec la Russie peut avoir des effets positifs.Dmytro Kiva: Il y a 10 ans, nous étions en plein développement de l’avion AN-70. Nous avons reçu une délégation de clients français, ici même, et ils nous ont dit qu’ils étaient prêts à travailler avec nous, à condition que la Russie n’ait aucune partie dans le contrat. A l’époque, c’était impossible. Aujourd’hui, nous pouvons travailler avec l’ouest! Donc en fait, la situation s’est améliorée! (rires)Mais ces clients français ou occidentaux, ne sont pas à Kiev ces temps-ci. Les avions Antonov souffrent de la réputation de leur entreprise, vieillotte, bureaucratique, peu compétitive face aux concurrents Airbus, Boeing ou même chinois, et surtout pauvre. Comme le constate l’avocat Roman Marchenko, l’entreprise ne bénéficie d’aucune aide d’un Etat ukrainien en quasi-faillite, et s’en trouve paralysée.Roman Marchenko: Antonov ne peut plus produire les avions que la compagnie veut vendre. Elle a besoin d’une énorme injection d’argent, et pour l’instant, on ne voit pas d’où cela peut venir. Ce que je pense, en même temps que quasiment tous les dirigeants d’Antonov, c’est que l’entreprise doit être privatisée à un moment donné. D’année en année, la valeur de privatisation décroît, car la flotte d’avions vieillit, et les dépenses restent considérables. On parle d’environ 15.000 employés. Cela représente énormément d’argent, alors qu’ils sont payés pour rien. Et pourtant, comme le défend Roman Marchenko, la véritable richesse d’Antonov, c’est son formidable capital humain, son savoir-faire technique et intellectuel. Dans le cas d’une privatisation et d’une restructuration musclée, cette richesse pourrait être réduite en morceaux, et devenir, de manière irrémédiable, une nouvelle victime de l’affrontement entre la Russie et l’Ukraine.Ecouter le reportage ici
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